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Exténués par nos pérégrinations intensives et les températures qui jouent aux montagnes russes en Nouvelle-Zélande, nous décidons de savourer à un rythme plus reposant le climat et les paysages néo-calédoniens. Or, peu avant notre arrivée, la lecture du guide sur l’archipel nous révèle que notre séjour coïncide avec la saison des pluies et des cyclones… Pour confirmer cette théorie dès notre première soirée à Nouméa, des cataractes tombent du ciel ; nous nous réfugions d’urgence dans un bar. A notre surprise, tandis que la patronne est visiblement métropolitaine, tous les clients sont Kanaks. L’ambiance joyeuse et authentique de l’endroit nous ravit. Notre sort n’est finalement pas si dramatique !
Alors que Fred avait observé une certaine hostilité de la part des Guadeloupéens d’origine africaine lors de ses périples antérieurs (ce qui n’avait pas été mon cas), les Kanaks se sont révélés très accueillants et le peuple le plus charmant que l’on ait rencontré au cours de notre voyage. La langue commune a sans doute renforcé ce sentiment mais leurs sociabilité et intérêt pour l’autre sont indéniables. Régulièrement et naturellement, certains Kanaks simplement croisés au détour d’une plage, d’une rue ou au supermarché sont venus vers nous, s’enquérant de si tout allait bien, plaisantant, ou demandant si nous vivions là et aimions leur pays. Nous nous y sentons bien, et oui, nous l’aimons leur pays !
Cependant nous avons découvert en discutant avec plusieurs habitants que la vie sociale demeure très compartimentée : les Caldoches (métropolitains arrivés du temps du bagne), les Zoreilles (métropolitains arrivés au cours des dernières décennies), les Kanaks (premiers colons de Nouvelle-Calédonie), les autres peuples mélanésiens et les Asiatiques fréquentent tous presque exclusivement leur communauté malgré quelques mariages mixtes.
Kunié ou l’Île des Pins
Après cette première soirée arrosée (dans tous les sens du terme), nous partons découvrir l’île des Pins – Kunié en langage kanak – que tous les globe-trotteurs nous avaient chaudement recommandée. Ce lieu enchanteur exalte tous les clichés de l’île paradisiaque. D’abord les plages sublimes de sable blanc d’une telle finesse qu’à certains endroits on croit marcher dans la farine, les cocotiers, une mer turquoise et chaude, et bien sûr le soleil chaleureux. Puis la mer où, parmi les coraux aux teintes vives et les coquillages, vaguent isolément ou en vastes bancs des multitudes de poissons aux formes, motifs et coloris variés. Au milieu des oursins, anémones et étoiles de mer, les incroyables bénitiers brillent de leurs larges lèvres aux couleurs criardes. Ces mollusques comestibles, plus grands coquillages du monde, servaient comme récipients d’eau bénite dans les églises et sont désormais protégés. Parmi les cachets de cette petite île figurent encore les pins colonnaires, conifères oblongs de la famille des Araucarias et proches cousins des pins de Norfolk de Nouvelle-Zélande avec lesquels ils sont couramment confondus. C’est en l’honneur de ces arbres endémiques de Nouvelle-Calédonie – qu’il a seulement aperçus et qui ne sont d’ailleurs pas des pins – que James Cook a nommé l’île en 1774.
L’apparition de l’archipel est liée au plissement de la plaque tectonique australienne suite à son détachement du supercontinent Gondwana. Les transformations géologiques diverses (et compliquées) qui eurent lieu par la suite expliquent la diversité des sols et en particulier la richesse de la terre en nickel qui procure une grande part de l’activité économique de cette collectivité française. Lors de périodes ultérieures où le niveau de la mer a varié, des récifs coralliens se sont formés à l’emplacement d’anciens rivages, formant la barrière de corail qui enveloppe aujourd’hui l’archipel.
La tribu, maillon social
Huit tribus – chacune dirigée par un chef – cohabitent dans cette petite île de cent cinquante-deux kilomètres carrés. La grande chefferie se situe à Vao, bourgade qui regroupe tous les services nécessaires à la vie des presque deux mille habitants, à quatre-vingt-quinze pour cent mélanésiens et kanaks. Le titre de grand-chef de l’île – autorité supérieure aux chefs de tribu –, bien qu’héréditaire, peut être contesté par d’autres membres. Le grand-chef actuel, en place depuis la mort de son père en 1974, a également été élu maire de la commune en 1989 et sénateur en 2011.
Chaque membre d’une tribu travaille pour sa collectivité et toutes les terres appartiennent à l’ensemble de la tribu et non à un individu ou une famille. Ce fonctionnement a permis aux habitants d’orienter plus intelligemment et impartialement les décisions concernant leur petit paradis : l’hôtel de luxe Le Méridien qui y est implanté ne possède pas les lieux mais est lié par un bail, la sollicitation d’achat de terrain par un riche souverain du Moyen-Orient a été refusée et le nombre d’hôtels a été volontairement limité pour éviter de surcharger ce havre privilégié. De même, la chefferie envisage de réduire le nombre d’autorisations de débarquement des grands paquebots australiens qui, à la haute saison, submergent quotidiennement cet éden de leur millier de touristes. Cette décision parait d’autant plus cruciale que ce tourisme de masse porte préjudice à celui plus conventionnel de voyageurs qui séjournent plusieurs jours sur l’île, et dont les bénéfices sont plus équitablement répartis parmi les entreprises locales. De plus d’après nos observations, les croisiéristes ne se caractérisent pas particulièrement par leur finesse et leur respect des traditions. Cependant toutes les décisions et arbitrages effectués par le grand-chef ne vont pas sans heurts, ses détracteurs lui reprochant notamment de diviser les clans et d’être très autoritaire.
Vers la mer
Quoiqu’il en soit, fin mars nous jouons les Robinson, jouissant de plages somptueuses sans avoir à partager. L’excursion sur l’îlot Nokanhui nous offre l’image rêvée du banc de sable blanc perdu au cœur de l’océan, et dont la silhouette fluctue avec les vents et les courants. Mais même sur ce refuge situé à de nombreuses encablures des côtes habitées il faut demeurer vigilant, car au fond de sa tanière, un tricot rayé est paisiblement lové. Ce serpent partage sa vie entre terre et mer, et bien que ravissant, s’avère très venimeux : son venin est dix fois plus puissant que celui du cobra royal. Au large de l’îlot, un couple d’aigle a façonné son nid sur un arbre mort charrié par les vents et les courants. L’un deux virevolte au-dessus de nous avant de rapporter dans ses serres le fruit de sa pêche jusqu’à son gîte. A l’îlot Môrô, abrités sous des paillotes tressées en feuilles de palmier et ornées de coquillages et fleurs d’hibiscus, nous dégustons la langouste et le mulet locaux avant de flemmarder sur la plage ou bouquiner paresseusement dans les hamacs colorés suspendus aux cocotiers.
Au sud-est de Kunié, la baie d’Upi est parsemée de rochers sapés par la mer, semblables à marée basse à un champ de gigantesques champignons dispersés. Nous y naviguons avec Alexandre, qui abandonne pendant quelques heures son chantier où gisent les prémisses de sa future embarcation. Les pirogues traditionnelles de Nouvelle-Calédonie – mais également du reste de la Polynésie – possèdent une coque creusée dans un unique tronc d’arbre auquel est ajouté un balancier pour leur assurer la stabilité d’un catamaran. La voile, à l’origine fabriquée manuellement par tressage de feuilles de pandanus, est désormais produite industriellement dans des matériaux modernes. Le maniement du gouvernail se révèle assez sportif pour les non-habitués, le piroguier devant plus ou moins immerger une lourde pièce de bois pour rectifier le cap donné par le vent. Une pagaie permet également de se déplacer et de s’orienter en l’absence de voile, ainsi qu’un moteur hors-bord de nos jours.
La gastronomie polynésienne
Nous goûtons à certains endroits une excellente cuisine locale à base de poissons (bec-de-cane, poisson perroquet, mérou), fruits de mer, escargots, poulet ou bœuf ainsi que les légumes et tubercules locaux tels qu’ignames, taros, patate douce, ou des fruits comme l’avocat, la papaye et la noix de coco.
A partir d’une certaine taille, de nombreux poissons sont considérés non comestibles car potentiellement contaminés par la « gratte » ou Ciguatera. Cette maladie qui provoque les symptômes habituels d’une intoxication alimentaire déclenche également de fortes démangeaisons qui peuvent durer deux à trois mois, et peut même entraîner chez les personnes les plus sensibles un choc anaphylactique (réaction allergique très violente). L’origine de ce trouble est liée à la disparition des coraux (qui peut être due à des causes naturelles – raz-de-marée, cyclones ou séismes sous-marins – ou humaines – pollution, tourisme irresponsable, trou de la couche d’ozone) dont les édifices morts sont alors colonisés par certaines algues. Celles-ci abritent des micro-organismes producteurs de toxines, incorporées à la chaîne alimentaire par les poissons herbivores qui contaminent ensuite les autres espèces pour atteindre la concentration et la nocivité les plus fortes dans les poissons carnivores situés au sommet de la pyramide alimentaire. Seules les espèces des lagons sont donc concernées par ce mal dont la gravité augmente avec l’âge du poisson, incitant les gens à privilégier la consommation de poissons pélagiques au-delà d’une certaine taille.
Ces découvertes culinaires nous séduisent, mais la gastronomie locale n’est malheureusement pas à l’honneur dans notre hôtel ; en contrepartie la terrasse privée de notre bungalow offre une vue exceptionnelle sur la plage.
La vanille et ses mystères
A quelques kilomètres au nord, la visite d’une vanilleraie nous permet de déguster une crème anglaise fredienne très attendue. Bien qu’originaire de Mésoamérique (zone qui s’étend du Mexique au Nicaragua), la vanille – terme qui désigne l’épice issue du fruit et par extension les orchidées lianescentes dont elle est issue – pousse aisément dans toutes les régions tropicales. Alors qu’elle devient très populaire suite à sa découverte par les colons espagnols au XVIe siècle, les Européens s’empressent de planter de nombreuses vanilleraies dans toutes leurs colonies exotiques. Pendant des décennies, les plantes ne donnent aucun fruit, au grand désespoir des propriétaires.
Il faut attendre 1841 pour qu’Edmond Albius – jeune esclave réunionnais de douze ans instruit en horticulture – mette au point la fécondation artificielle et manuelle de la vanille après l’avoir scrupuleusement étudiée. Cette technique qui consiste à mettre en contact les organes mâle et femelle de la plante qui se trouvent dans la même fleur est toujours celle utilisée de nos jours. Il a été déterminé plus tard qu’une abeille endémique accomplit cette fonction au Mexique. Bien entendu, cette trouvaille très lucrative pour les planteurs de la région ne profita guère au jeune homme qui – bien qu’ayant quelques soutiens honnêtes – fut dénigré voire dépossédé de sa découverte par les colonisateurs parce qu’il était esclave, noir et jeune. Il mourut en 1880 sans reconnaissance et dans le dénuement malgré sa supériorité intellectuelle et pratique sur tous les profiteurs de sa découverte.
La fête de l’igname
Malgré toutes ces belles explorations, notre départ nous semble prématuré : nous ratons de justesse la fête de l’igname. Dans la commune, il s’agit de l’évènement le plus important de l’année : nous observons dès l’avant-veille le nettoyage généralisé qui s’opère. Tous les talus, jardins ou bords de route sont tondus, les déchets végétaux brûlés et les ignames nécessaires à la fête récoltés et mitonnés. Même si les tortues marines sont protégées, chaque tribu a le droit d’en sacrifier une pour le festin de cette cérémonie qui se déroule tout un week-end. Le samedi, les tribus célèbrent séparément la première récolte de l’igname tandis que le lendemain, tous – membres de chaque tribu et visiteurs – se regroupent pour les réjouissances. L’effervescence de la préparation à laquelle nous assistons nous fait vraiment regretter de ne pouvoir y prendre part !
Mais il est temps de partir sur Grande Terre, et d’y découvrir des paysages tout à fait différents.
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C’est cool que vous vous soyiez bien entendus avec les Zoreilles!