L’Asie centrale : peut-être la région du monde que les Occidentaux peinent le plus à situer sur une carte. Les néophytes la surnomment parfois le territoire des « -stan », ce qui présente l’avantage de ne pas avoir à se rappeler le nom de chaque pays !
Tout d’abord la définition de l’Asie centrale est floue : tous ne s’accordent pas sur ce qu’elle figure. J’utiliserai la définition la plus commune qui la considère constituée des cinq anciennes républiques socialistes soviétiques d’Asie, soient le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan, alors que des interprétations plus larges y ajoutent le Xinjiang, la Mongolie, le sud de la Sibérie ainsi que le nord de l’Iran, de l’Afghanistan et du Pakistan. Au cours de nos trois mois dans cette région, nous avons arpenté le Kirghizstan sous toutes les coutures, la majorité des villes d’Ouzbékistan, le Pamir tadjik et la saillie nord du pays dans le Ferghana, le sud-ouest du Kazakhstan ainsi que ses deux capitales, Astana et Almaty. Le Turkménistan nous reste entièrement à découvrir !
Avant d’évoquer nos multiples aventures dans ces pays, j’ai souhaité écrire un article d’introduction afin de vous donner quelques éléments choisis de leur histoire, qui m’ont semblé utiles pour mieux comprendre l’expérience particulièrement riche que nous y avons vécue. J’espère que cette lecture ne vous semblera pas trop rébarbative…
Géographie
Région du monde la plus éloignée de la mer, l’Asie centrale subit un climat continental prononcé. Deux gigantesques lacs salés, la mer Caspienne et la mer d’Aral tempèrent les régions limitrophes, bien que l’assèchement partiel de la mer d’Aral au XXè siècle modère – voire annihile – ces bénéfices. L’hiver, les températures dans les villages du Pamir tadjik atteignent parfois -60°C tandis que des villes d’Ouzbékistan ont déjà supporté 47°C en été. Son relief extrêmement varié alterne steppes, déserts, plaines ou basses vallées fertiles, hauts plateaux et massifs montagneux abrupts. Alors que le rivage de la mer caspienne se situe sous le niveau de la mer, les plus hauts sommets de ce territoire culminent au Kirghizstan et Tadjikistan à respectivement 7 439 et 7 495 mètres d’altitude.
L’Antiquité
Bien que méconnue des non-russophones, la région a une histoire riche dont certains personnages nous sont relativement connus.
La théorie la plus répandue aujourd’hui – basée sur une étude essentiellement linguistique – estime que quelques milliers d’années avant notre ère, les Indo-Européens constituaient un peuple de la région de la Volga et de l’Oural – en Russie au nord de la mer Caspienne. Grâce à la domestication du cheval qui leur aurait donné un avantage guerrier considérable, ils auraient migré à la fois vers l’Europe, l’Asie centrale, l’Iran puis l’Inde. Certains spécialistes contestent néanmoins le berceau de cette civilisation ou l’existence même d’un peuple possédant cette langue indo-iranienne dont découleraient toutes celles des pays envahis.
Au VIè siècle av. J.C., l’empire perse des Achéménides s’étend de la Grèce et la Libye jusqu’en Asie centrale et au fleuve de l’Indus aujourd’hui au Pakistan. Malgré des frontières globalement stables, aux confins nord-est de l’empire dans les plaines du Kazakhstan actuel, les Perses peinent à soumettre les Sakas, nomades plus connus sous le nom grec de Scythes. Insaisissables guerriers, leurs bijoux et tenues guerrières en or, bois ou os découverts dans les sépultures kazakhes et sibériennes depuis quelques décennies dévoilent la genèse d’un art animal très délicat.
Les échanges commerciaux sont encouragés par le pouvoir, et quoique chaque peuple dominé par les Achéménides maintienne son mode de vie et ses traditions, certaines idées et marchandises commencent à circuler entre l’Europe et l’Asie. Par exemple, bien que la plupart des souverains perses refusent d’imposer leur culte aux autres peuples, le zoroastrisme, religion iranienne monothéiste fondée par Zarathoustra, s’importe dans toutes les contrées orientales.
Au IVè siècle, Alexandre de Macédoine (Alexandre le Grand) s’affirme héritier de l’empire achéménide et entreprend de longues campagnes militaires afin d’étouffer les rebellions et velléités de souveraineté qui naissent dans l’empire. Egalement déterminé à découvrir le bout du monde – peu au-delà de l’Indus selon les Grecs antiques –, Alexandre est suivi dans ses expéditions par un cortège de civils grecs qui colonisent peu à peu les cités stratégiques de l’empire. Grâce à eux et aux érudits autochtones formés chez les Hellènes, la culture grecque s’enracine progressivement dans les territoires orientaux, en particulier au Gandhara (nord du Pakistan) où fleurit par la suite l’art gréco-bouddhique. Le commerce prospère entre les régions de l’empire mais le comportement colonisateur par excellence des Grecs augmente les inégalités : en échange de ce qu’ils considèrent être l’apport de la civilisation – c’est-à-dire leur civilisation, en opposition aux autres peuples qui sont des barbares – ils exploitent sans vergogne les territoires conquis. Le royaume se délite suite à la disparition d’Alexandre mais certaines colonies grecques subsistent plusieurs siècles, imprégnant durablement l’Asie de la culture hellénistique.
Il est assez amusant d’entendre de nos jours les Centrasiatiques revendiquer avec fierté l’héritage d’Alexandre de Macédoine ; nous ne cesserons d’en entendre parler, au détour d’une conversation avec un berger kirghiz ou un chauffeur de taxi ouzbek !
Le Moyen-Âge
Au cours des siècles suivants, plusieurs invasions de tribus mongoloïdes de langue turque originaires de Sibérie et de Mongolie repoussent les peuples iraniens d’Asie centrale et engendrent un mélange des populations. Le bouddhisme, le manichéisme et le christianisme nestorien se mêlent alors au chamanisme de ces peuples, jusqu’à ce que l’Islam prédomine avec l’arrivée des Arabes au VIIIè siècle.
Durant le dernier quart du Ier millénaire, plusieurs scientifiques de renom voient le jour en Asie centrale. Né à la fin du VIIIè siècle, Al-Khwârizmî – dont le nom est à la source du mot algorithme – est un mathématicien, géographe et astronome majeur. L’un de ses ouvrages établit les fondements de l’algèbre et il vulgarise grâce à l’un de ses traités l’emploi des chiffres arabes – nommés ainsi car la bibliographie qui atteint l’Europe est en arabe bien que le système décimal provienne en réalité de la culture indienne. Deux siècles plus tard, Al-Biruni et Ibn Sina (Avicenne), scientifiques, médecins et philosophes écrivent également des œuvres capitales, en particulier sur la rotation de la terre et la médecine respectivement.
Au XIIIè siècle, tandis que les splendides cités d’Asie centrale brillent sur la route de la soie, un terrible fléau s’abat sur la région. Génie politique et stratégique, Gengis Khan parvient à unifier plusieurs tribus nomades mongoles et à en devenir le chef suprême. Il fonde l’empire mongole qui deviendra trente ans après sa mort – sous le règne de son petit-fils Kubilaï Khan – le plus grand empire continu jamais connu.
Gengis Khan pille, rase les villes et massacre les populations avec une réputation de cruauté inouïe. Il laisse cependant à sa mort un système administratif très efficace et une nouvelle économie dirigée par ses fils et généraux. A cette époque le cours du fleuve Amou-Daria – connu dans l’Antiquité sous le nom d’Oxus – est dévié par la destruction d’une digue, entraînant l’anéantissement de la capitale du Khârezm Gurgendj, ancienne Urgentch. Ce changement de trajectoire – naturel ou conséquent à la stratégie de dévastation de l’armée de Gengis Khan – entraîne alors l’assèchement de la mer d’Aral. Elle recouvre péniblement sa surface au cours des décennies suivantes mais subit à nouveau cette infamie un siècle plus tard sous Tamerlan, surnommé Timour le boiteux. Né près de Samarkand en actuelle Ouzbékistan, il fait de cette cité une capitale rayonnante, patrie de l’architecture, de l’art et des lettres. Les madrasas, mosquées ou mausolées reconstruits par les soviétiques après le séisme de 1897 témoignent de la splendeur de la ville à l’époque. Tamerlan dévaste néanmoins le reste de la région, lui infligeant des razzias sanglantes dignes de son prédécesseur. Ses soldats sont même renommés pour édifier des pyramides de têtes ennemies décapitées. En l’absence d’une administration compétente, son empire ne lui survit guère bien qu’il connaisse un certain renouveau sous le règne de son petit-fils Ulugh Beg, astronome et mathématicien.
Tamerlan repose aujourd’hui dans le mausolée de Gour Emir à Samarcande, selon la tradition aux pieds de son maître spirituel le cheik Mir-Said-Bereke. D’après la légende, deux inscriptions défendant son ouverture seraient gravées sur son tombeau, à l’extérieur « Lorsque je reviendrai à la lumière du jour, le monde tremblera. » et à l’intérieur « Toute personne qui troublera mon repos dans cette vie ou dans l’autre, sera soumise aux souffrances et périra. ». Or plus de cinq siècles après sa mort, en juin 1941 les Soviétiques décident d’examiner le caractère mongoloïde de Tamerlan, déclenchant la malédiction. Trois jours après l’exhumation du corps par l’archéologue russe Mikhaïl Guerassimov, le régime nazi lance l’opération Barbarossa contre l’URSS, plus grande invasion de l’histoire militaire avec près de quatre millions de soldats de la Wehrmacht. La décisive victoire soviétique de Stalingrad suit de peu la remise au tombeau de Tamerlan selon les rites islamiques en novembre 1942, semblant confirmer les croyances.
Dès le IXè siècle mais essentiellement à partir du XVè siècle, les peuples nomades turcophones Kirghizes, Ouzbeks, Kazakhs, Turkmènes et Ouïgours migrent de Sibérie ou de Mongolie vers l’Asie centrale. Persanophones et sédentarisés très tôt, les Tadjiks viennent eux des populations des plateaux iraniens. Les villes de Boukhara et Samarcande aujourd’hui situées en Ouzbékistan sont d’ailleurs surtout tadjikes. Alors que les Ouzbeks fondent des villes et se fixent peu à peu, Turkmènes, Kirghizes et Kazakhs demeurent nomades jusqu’à la révolution d’octobre 1917.
L’époque moderne
Les tribus sédentaires créent de petits Etats qui s’assaillent à tour de rôle, tandis que les nomades effectuent des razzias régulières dans les régions avoisinantes. Au début du XVIIIè siècle, le khanat de Khiva s’enrichit du commerce d’esclaves – en particulier russes – justifiant une intervention de l’armée impériale de Russie qui se retrouve massacrée par les Centrasiatiques. Cet événement occasionne une certaine méfiance des Russes et repousse de plusieurs décennies la mainmise de l’empire tsariste sur la région. Il conquiert cependant peu à peu le territoire des futures Républiques socialistes soviétique d’Asie dans la seconde moitié du XIXè siècle. Certains khanats deviennent des protectorats – conservant ainsi une certaine indépendance – tandis que d’autres sont complètement intégrés dans l’empire. Comme dans toute colonie, les colonisés sont largement dépossédés de leurs terres et richesses au profit des Russes, générant une forte frustration des populations locales. Avec l’arrivée du régime soviétique, les colons sont toutefois contraints de rendre ce qui avait été pris par la force, rééquilibrant partiellement les richesses.
En 1916 l’armée tsariste entreprend d’envoyer les peuples d’Asie centrale au front de la Première Guerre Mondiale, amorçant une révolte nommée par la suite « des Basmatchis ». L’arrivée des Bolcheviks au pouvoir apporte à nouveau de profonds changements à la société centrasiatique avec l’instauration d’un Etat laïc, la sédentarisation forcée des peuples nomades et la fragilisation du mode de vie traditionnel. La tension redouble entre colons et Basmatchis et se solde par un massacre des résistants à Kokand, dans le Ferghana. Cette tragédie apporte un soutien populaire au mouvement insurgé qui demeure cependant assez mal organisé et s’affaiblit dès les années 1920, disparaissant au début des années 1940.
La colonisation soviétique
Cependant à l’issue de la Révolution d’octobre, nombre de Centrasiatiques accueillent l’arrivée des Bolcheviks avec intérêt, y voyant une opportunité de se moderniser plus rapidement et d’améliorer leurs conditions de vie. La colonisation soviétique est d’ailleurs au départ mieux acceptée que la colonisation impériale car même si les Russes ont la mainmise sur les hauts postes du système, les citoyens lambda sont égaux en droits indépendamment de leur ethnie (ce qui n’est jamais le cas en pratique dans les colonisations occidentales). Les soviétiques russes affluent pour participer aux grands projets de développement économiques tels que la construction de centrales hydroélectriques, d’usines de chauffage ou de complexes militaires. Certains d’entre eux sont animés par une véritable foi communiste pour construire un monde meilleur tandis que d’autres manifestent une mentalité de colon traditionnel, méprisant les peuples d’Asie centrale jugés arriérés et provoquant un ressentiment latent qui rejaillira lors de l’effondrement du bloc.
Alors que le Kazakhstan voit rapidement les goulags se multiplier dans ses régions du nord et son économie dépendre des mines d’uranium et du complexe d’essais nucléaires de Semipalatinsk, la culture du coton devient primordiale dans les plaines d’Ouzbékistan et du Tadjikistan. L’extraordinaire consommation d’eau des plants de coton nécessite la construction de milliers de kilomètres de canaux d’irrigation qui atrophient les deux grands fleuves d’Asie centrale, l’Amou-Daria – l’Oxus antique – et le Syr-Daria – anciennement Iaxarte. Tous deux sont tributaires de la mer d’Aral, et leur débit amoindri ne suffit plus à compenser la forte évaporation de ce lac très peu profond (soixante-huit mètres au maximum), provoquant la dessiccation progressive de la mer. Cette catastrophe écologique lègue de vastes étendues de sel à l’air libre, dont les tempêtes dévastent les territoires proches et génèrent une grave crise sanitaire dans la région : les cas de tuberculose, d’anémie et la mortalité infantile se démultiplient. Cependant depuis plusieurs années les pouvoirs publics du Kazakhstan et d’Ouzbékistan luttent avec l’aide d’ONG internationales pour contrer ces problèmes de santé publique, permettant d’endiguer leur expansion. Par ailleurs le maire d’Aralsk est parvenu par le fantastique projet de construction d’une digue – auquel personne ne croyait – à remplir progressivement la « Petite mer », située au nord. L’arrivée d’eau douce réduisant la salinité, de nouvelles espèces de poissons peuvent à nouveau y survivre et ravivent l’industrie de la pêche. De son côté le nouveau président d’Ouzbékistan (depuis septembre 2016) a déjà mis en œuvre la réduction de la culture du coton et négocié avec son voisin turkmène une diminution de la déviation de l’Amou-Daria vers le Turkménistan afin de compléter l’effort.
La grande famine du Kazakhstan (1932 – 1933)
Initiée à la fin des années 1920, la collectivisation forcée accomplit de terribles ravages en Asie centrale, et notamment au Kazakhstan où une importante partie de l’alimentation est issue de l’élevage pastoral nomade. Après une période de « dékoulakisation » où le pouvoir soviétique tente à la fois d’éradiquer les paysans propriétaires et le nomadisme traditionnel, les pasteurs sont incités à incorporer leur bétail dans celui des kolkhozes. Certains préfèrent sacrifier eux-mêmes leur cheptel en signe de contestation, mais les autorités entament tout de même le prélèvement d’une partie des bêtes pour nourrir les villes. Cependant la steppe kazakhe constituée d’une végétation rase et pauvre ne peut subvenir aux besoins des énormes troupeaux des fermes collectives parqués sur une surface limitée. En sept ans, le cheptel kazakh passe d’environ quarante million de têtes à moins de dix millions. La viande étant le socle de l’alimentation kazakhe, la pénurie déclenche une épouvantable famine qui décime principalement l’ethnie éponyme et conduit plusieurs centaines de milliers de personnes à l’exode. L’ampleur de ce drame est telle qu’elle mène une frange de la population à l’anthropophagie. D’après les études de divers démographes, les décès dus à la famine seraient compris entre un million cent cinquante mille et un million quatre cent vingt mille tandis que six cent mille Kazakhs auraient définitivement émigré. Au total le pays aurait perdu près de cinquante pour cent de sa population, estimée en 1926 à environ quatre millions de personnes. Contrairement à celle vécue en Ukraine à la même époque, cette famine ne fut pas désirée par le pouvoir mais dénote plutôt du mépris et de l’indifférence du premier secrétaire du Parti communiste du Kazakhstan Filipp Isaevich Goloshchekin envers les Kazakhs. Néanmoins Staline déclara ennemis du peuple les statisticiens qui recensèrent l’ampleur du désastre et manipula les chiffres officiels pour dissimuler l’étendue de l’échec de la collectivisation.
La chute du mur
Alors que l’éducation communiste célèbre la fraternité des peuples et la joie du vivre ensemble, les vacillements du pouvoir central à la fin des années 1980 puis l’effondrement du bloc voient les régions et les ethnies se replier sur elles-mêmes et s’affronter dans une terrible guerre civile qui ravage le Tadjikistan pendant cinq ans. Cette période voit une résurgence des islamistes et un affrontement entre la coalition nationaliste – démocrate – islamique et les communistes, ainsi que des conflits ethniques et régionaux. Pour des raisons politiques, ethniques ou religieuses, entre 1992 et 1997 les égorgements, rafales de balles, viols ou attaques à la grenade seront le lot commun des Tadjiks de certaines régions. Le nombre de morts est estimé entre cinquante et cent mille pour une population totale inférieure à six millions d’habitants. La majorité des Russes fuient les horreurs et la misère qui accompagne cette période de grande instabilité politique et de déclin économique. L’effacement – du jour au lendemain – des anciennes amitiés au profit d’une haine irrationnelle transparait avec clarté et violence dans le recueil de témoignages « La Fin de l’homme rouge » de Svetlana Aleksievitch. Les frontières poreuses avec l’Afghanistan où les opposants trouvent un soutien islamiste obligent les Russes – qui souhaitent pourtant rester aussi neutres que possibles dans le conflit – à y laisser leurs propres gardes-frontière, avec l’appui des nouvelles républiques d’Ouzbékistan, de Kazakhstan et du Kirghizstan. Vingt ans après les accords de paix, les témoignages de ce cruel conflit se révèlent toujours bouleversants.
Les quatre autres républiques parviennent à déclarer leur indépendance sans de telles effusions de sang. Aujourd’hui seul le Kirghizstan est une jeune démocratie. Les Kirghizes avec lesquels nous discutons cet été font confiance au président et croient en sa parole qu’il ne se représentera pas. Les faits leur ont donné raison avec les élections du 15 octobre. Le pays possède quelques mines importantes (notamment une grande mine d’or) mais sa principale richesse pour le futur réside dans ses réserves en eau, dont les sources du Syr-Daria. L’emploi pastoral dans les montagnes et dans les cultures dans les basses vallées demeure primordial, ainsi que le développement du tourisme grâce à un environnement qui comble les amoureux de la nature.
Le Kazakhstan, dirigé par Nazarbayev – ancien premier ministre de la RSS kazakhe – depuis l’indépendance, est un pays stable et relativement prospère grâce à ses ressources naturelles (gaz, pétrole, métaux et minéraux). Bien que le dictateur se soit grassement enrichi en plus de vingt ans de pouvoir, il est apprécié par une importante partie de la population pour avoir réussi à limiter la souffrance économique liée à l’effondrement de l’URSS, à reconstruire des zones sinistrées comme la ville d’Aralsk et à maintenir la stabilité malgré la coexistence dans le pays de plus de cent nationalités, dans une région où la misère, l’islamisme et les conflits ethniques sont fréquents. La capitale Astana créée en 1997 a un air de « Dubaï des steppes » selon la formule consacrée et détient le privilège de posséder entre autres trois édifices dessinés par Sir Norman Foster.
En Ouzbékistan, jusqu’à la mort de Karimov – ancien président de la RSS d’Ouzbékistan – en septembre 2016, la population a subit une sévère dictature pendant plus de vingt-cinq ans. Les opposants politiques sont violemment brimés, les contestations réprimées dans le sang et tous les services publics sont corrompus. Alors que pays a des revenus décents grâce aux richesses minières et à l’agriculture, la redistribution est faible et l’Etat ne paie même pas ses ramasseurs de coton au prix du marché. L’ancien premier ministre assure la régence à la mort de Karimov puis est élu président en décembre 2016. Lors de notre passage en août, ses premières mesures emplissent d’espoir les personnes avec qui nous discutons. La corruption a ainsi été éradiquée par la création d’un site internet de doléances où chaque demande est traitée en quelques jours. Suite aux dénonciations d’abus, en quelques mois les médecins ont cessé de demander des bakchichs lors des consultations (la médecine est gratuite), de même que les militaires effectuant les contrôles routiers. Des exemptions de taxes pour la création d’entreprise, des prêts et autres aides sont également mis en place pour stimuler l’économie. De même les ONG des droits de l’homme sont de nouveau les bienvenues et les relations internationales sont relancées afin de stimuler les échanges et développer le pays. Le nouveau pouvoir doit encore faire ses preuves mais il est indéniable que ses premières actions ont enthousiasmé les Ouzbeks.
Le Tadjikistan est dirigé depuis 1992 par Rahmon – ancien député du Soviet Suprême – qui a donné tous les postes clefs à sa famille pour assurer sa succession. Le pays a peu de richesses naturelles (à part de l’eau), produit encore du coton et des céréales mais l’export est plus compliqué depuis l’effondrement de l’URSS et une bonne partie du pays – notamment le Gorno-Badarchan – vit toujours dans une relative misère. La population a peu bénéficié du développement limité du pays, et bien que certains apprécient l’économie de marché, d’autres regrettent le temps de l’URSS où chacun était sûr de manger à sa faim et de toucher une retraite décente.
Le Turkménistan est certainement la dictature la plus étrange d’Asie centrale. Grâce à sa grande richesse en hydrocarbures, le premier président Niazov (de 1992 à 2006) a pu créer Achgabat, une capitale monumentale et démesurée. Ses immenses rues vides ont impressionné tous les voyageurs qui l’ont contemplée, et le culte de la personnalité y est tout à fait extravagant. Une statue plaquée or le représentant pivote au sommet d’un bâtiment, suivant la direction du soleil. Le Ruhnama, ou Livre de l’Âme écrit par Niazov, guide spirituel de la nation, est obligatoirement étudié par tous les jeunes écoliers. Bouygues, proche du pouvoir turkmène, est le constructeur d’une grande partie des bâtiments commandités par le dictateur.
Les frontières
A la fin du XIXè siècle, le Grand Jeu oppose en Asie l’empire britannique à l’empire russe. L’Afghanistan – où les Britanniques se sont déjà cassé deux fois les dents – sert finalement de zone tampon, notamment avec la création du corridor de Wakhan qui sépare l’Inde de la Russie depuis la Chine.
Les tracés des frontières internes à l’Asie centrale ont été dessinés pour la plupart entre 1924 et 1936 par le pouvoir soviétique. Alors que les Bolcheviks souhaitent la constitution d’une république socialiste soviétique mondiale, les frontières ont vocation à être abolies. Cependant les RSS d’Asie centrale sont présentées comme un modèle bolchevik pour les pays de toute l’Asie et sont ainsi conçues pour souder les nationalités et les exhorter à se forger un idéal révolutionnaire propre à chacune. Ainsi le Bolchevik Safarov observe en 1925 : «sous l’influence de l’État et de l’école soviétique qui arrachent les peuples opprimés du gouffre de la misère matérielle et spirituelle commence à se former le type national du Kirghiz, de l’Ouzbek, du Turkmène, etc., qui jadis n’avaient ni langue propre, ni école nationale, ni État, ni institutions culturelles». Mais ces frontières n’étaient pas destinées à entraver la libre circulation des gens, comme l’illustrent la présence de nombreuses enclaves ou les routes principales franchissant fréquemment les frontières – notamment au Ferghana. Depuis la chute de l’URSS, ces découpages engendrent des frictions entre certains de ces pays ainsi que des conflits ethniques et entravent le commerce, aggravant la dépression économique qui a suivi l’effondrement du système en 1991. Des révoltes et pogroms ont éclaté dans plusieurs régions frontalières depuis l’indépendance, notamment à Och au Kirghizstan où Kirghizes et Ouzbeks se sont affrontés dans une opposition meurtrière encore en 2010.
La région demeure cependant très sûre pour les touristes. Ses populations accueillantes et curieuses rendent un voyage en Asie centrale extrêmement enrichissant et inoubliable. Vous vous en rendrez compte dans nos prochains articles en découvrant les multiples aventures et échanges inattendus avec des autochtones qui ont rendu cette fin de périple particulièrement généreuse en émotions et en surprises.
Lovely photos showing amazing places in Central Asia. Would love to go there one day 🙂