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A l’issue de notre périple kirghize, nous poursuivons notre découverte du Kazakhstan par ses deux capitales, Almaty et Astana.
Almaty
Située à seulement trois cents kilomètres de Bichkek, la capitale économique Almaty nous conquiert par son atmosphère décontractée, aérée et verdoyante typique des métropoles soviétiques de la région. Les noms successifs de la ville, Alma-Ata et Almaty, qui signifient respectivement « grand-père des pommes » et « riche en pommes », ont pour inspiration le fruit du pommier d’Asie centrale Malus sieversii. Ce pommier sauvage originaire des montagnes de la région forme des forêts fruitières du Xinjiang en Chine au nord-est de l’Ouzbékistan, et du Kazakhstan au Tadjikistan, où il se mêle notamment à d’autres espèces de pommiers sauvages, des abricotiers, des pruniers, des cerisiers et des amandiers. Les nombreuses études menées depuis l’époque soviétique prouvent que quasiment tous les pommiers domestiques actuels sont issus de cette souche, et non des pommiers sauvages européens. L’isolement dû à leur environnement géographique et climatique a permis la sauvegarde de leur patrimoine génétique très particulier. Certains arbres peuvent atteindre trente mètres de hauteur et leurs fruits varient fortement d’un spécimen à l’autre : leur diamètre oscille entre deux et sept centimètres, leur robe se teinte de rouge, jaune ou vert et leur acidité ainsi que la quantité de sucre varient d’un extrême à l’autre. Le génome bien plus riche de ce pommier sauvage par rapport aux cultivars domestiques le rend également plus résistant aux maladies, motivant de nouvelles recherches sur son ADN. Malheureusement l’expansion de l’agriculture et de l’habitat humain menacent désormais fortement sa survie, par la réduction de son habitat et la pollinisation croisée avec des espèces cultivées affectant sa diversité génétique.
Capitale du Kazakhstan jusqu’en 1997, Almaty demeure de nos jours son centre économique. La relative richesse du pays et en particulier de la ville transparait sur les façades des bâtiments d’Almaty, bien mieux entretenues qu’à Bichkek. Son dynamisme se révèle également dans le vaste choix de cafés et de restaurants engageants. Nous apprécions d’y boire un cocktail, de flâner dans les parcs ou les rues ombragées et de louer des bains luxueux, héritage monumental de l’époque communiste. Comme à Bichkek, la population est très russisée et les jeunes filles se promènent en mini-jupe ; il est d’ailleurs rare de voir une femme voilée. La ville exhibe son lot habituel de monuments aux morts soviétiques grandioses dont nous admirons la subtile mise en scène. René nous avait raconté que lors de la fête du 9 mai 2017 – équivalent de notre 8 mai puisqu’il était plus de minuit en Russie lors de l’armistice –, les gens défilaient dans la rue avec des pancartes remerciant leurs grands-parents de les avoir sauvés du nazisme. La seconde guerre mondiale est toujours extrêmement présente dans les consciences des populations de l’ex-URSS, et elles entretiennent la fierté de l’offensive décisive de leur patrie contre l’armée hitlérienne. L’Europe tend injustement à considérer les États-Unis comme l’unique sauveur – ce qui témoigne d’ailleurs d’un de leurs succès dans la guerre froide – alors que nous devons notre liberté largement autant à la lutte et au sacrifice des Soviétiques.
La guerre d’Afghanistan (1979-1989)
Quelques monuments célèbrent également les héros de la guerre en Afghanistan, même si les Russes préféraient éviter d’envoyer les Centrasiatiques faire la guerre chez leurs coreligionnaires. Cette guerre – qui fut un désastre – fut entreprise malgré l’opposition de l’armée soviétique, les grands généraux étant tout à fait conscients du bourbier dans lequel ils s’engouffraient. Zone tampon entre l’Empire russe et l’Empire britannique en Asie lors du Grand Jeu au XIXe siècle, l’Afghanistan redevient entièrement indépendant suite à sa victoire lors de la troisième guerre anglo-afghane de 1919. Après plusieurs années d’instabilité politique, le Shah (roi) Mohammad Zaher conserve le trône de 1933 à 1973. Partiellement éduqué en France, il réforme le pays en transformant la monarchie constitutionnelle en monarchie parlementaire, en développant l’industrie, en encourageant l’émancipation des femmes et en légalisant la liberté de parole et les partis d’opposition. Il est renversé en 1973 par son cousin le Khan (prince) Mohammad Daoud – également éduqué en France – qui se proclame premier Président de la nouvellement créée République d’Afghanistan. Ce prince qui fut premier ministre de 1953 à 1963 avait été écarté du pouvoir après avoir tenté dans les années 1960 d’unifier les tribus pachtounes du Pakistan et d’Afghanistan, séparés par une frontière arbitraire tracée par les Britanniques en 1893. Les autres ethnies afghanes avaient très mal interprété ce geste semblant les mettre en minorité, et le Pakistan ferma ses frontières en représailles de cette ingérence, envenimant les relations entre les deux pays voisins. Cet événement rendit l’Afghanistan dépendant de l’URSS – déjà partenaire économique considérable auparavant – et força Mohammad Daoud Khan à démissionner.
Parvenu au pouvoir, il industrialise et modernise encore le pays mais restreint la liberté de parole et d’opposition, et nomme l’assemblée auparavant démocratiquement élue. Après quelques années, il se distance de ses alliés communistes (Parti démocratique populaire d’Afghanistan), limite les politiques sociales et tente d’enrayer la dépendance du pays envers l’URSS et de s’ouvrir davantage à l’occident. Un intellectuel communiste afghan est assassiné en avril 1978, déclenchant les inquiétudes des responsables du parti qui suspectent le gouvernement d’être l’auteur du crime. Face à l’unité communiste qui se manifeste, Daoud prend peur et fait emprisonner tous les responsables du Parti démocratique populaire d’Afghanistan. Ceux-ci ont cependant le temps de s’organiser et prennent le pouvoir quelques semaines plus tard grâce à un coup d’État soutenu par l’armée.
A la suite de cette prise de pouvoir, le nouveau régime communiste voit ses deux branches rivales se déchirer. En 1979, l’URSS intervient afin de stabiliser le gouvernement en ignorant que même si les villes et l’armée sont acquises aux communistes, la guérilla résistante est soutenue par les pays islamiques (notamment Pakistan et Arabie saoudite) et les États-Unis. Depuis les débuts de la démocratisation et de la laïcisation du pays, certains mollahs appellent régulièrement au renversement du roi puis du président. Les régions rurales plus hostiles au changement sont un terrain propice pour la création de factions rebelles qui affrontent régulièrement les forces armées gouvernementales. Cependant dès 1975, la résistance anti-communiste se scinde et oppose un mouvement islamique modéré dirigé par Massoud et Rabbani, et un mouvement islamiste radical dirigé par Gulbuddin Hekmatyar. Contrairement à l’URSS qui prend rapidement conscience de la menace de ces résistants exaltés par un discours religieux inflexible, les États-Unis les financent aveuglément contre les communistes, notamment à travers le Pakistan qui intervient financièrement et militairement.
La guerre est sanglante : environ quinze mille soldats soviétiques, dix-huit mille soldats de l’armée afghane, cent mille résistants afghans et surtout un million deux cent mille civils afghans périssent au cours de la décennie de guerre.
Ayant hérité ce conflit de l’ère Brejnev, Gorbatchev prend rapidement conscience du bourbier dans lequel l’URSS s’est empêtrée. Il prépare l’évacuation en essayant de minimiser l’ampleur de l’échec afin de préserver le moral et la gloire des troupes. Le retrait de l’armée soviétique s’opère sans heurts en 1989, laissant cependant le pays envahi sévèrement meurtri. Le commandant Massoud, alors très populaire, forge des alliances variées notamment avec d’anciens soutiens des soviétiques pour prendre Kaboul des mains de Gulbuddin Hekmatyar, financé par la CIA (les États-Unis avaient sciemment favorisé les plus fondamentalistes, a priori plus virulents contre l’URSS). Pour conserver le pouvoir, Massoud s’associe à des individus douteux et se trouve par ailleurs accusé d’avoir laissé ses hommes piller et massacrer des villages de l’importante minorité Hazaras au sud de Kaboul. Comme dans tout pays d’Asie centrale, l’enjeu ethnique est important. Son appartenance à l’ethnie tadjike lui porte préjudice auprès des autres minorités et les suspicions de double jeu et de conflits opportunistes lui font perdre de son aura. Au cours des années suivant le retrait des Russes, les affrontements sont fréquents dans le pays, puis en 1994 les talibans (majoritairement de l’ethnie pachtoune) soutenus par le Pakistan prennent le pouvoir et instaurent une dictature fondamentaliste.
Hostile aux extrêmes religieux et politiques et jouant à l’occasion cavalier seul, le commandant Massoud n’obtient plus aucun soutien matériel de l’extérieur du pays, mais parvient encore à produire quelques coups d’éclat. En 2001 ils se rend à Strasbourg dénoncer les ingérences étrangères et demande un soutien pour les réfugiés qui fuient le régime taliban. Il aurait également à plusieurs reprises tenté d’alerter la communauté internationale sur le risque représenté par Oussama Ben Laden. Massoud est tué dans son pays le 9 septembre 2001 lors d’un attentat suicide commis par deux Belges membres d’Al-Qaïda. La suite est malheureusement universellement connue et l’Afghanistan vit dans la terreur depuis l’invasion états-unienne inopportune qui suivit l’attentat des tours jumelles du World Trade Center de New-York tandis que le narcotrafic d’opium quasiment disparu sous les talibans explose pour atteindre 80% de la production mondiale en 2014.
Astana
A la chute de l’URSS, le nouveau président kazakh Nursultan Nazarbaïev – l’unique depuis l’indépendance, précédemment Président du Conseil des ministres de la République socialiste soviétique kazakhe puis Premier secrétaire du Parti communiste kazakh – parvient par son autoritarisme à empêcher les conflits violents qui dévastent plusieurs anciennes républiques soviétiques. Il préserve ainsi la coexistence pacifique des cent vingt minorités du Kazakhstan, de même que l’économie du pays. De même qu’à l’époque de l’URSS, les habitants du Kazakhstan disposent d’une nationalité – qui correspond à leur ethnie, soit kazakhe, russe ou kirghize par exemple – et d’une citoyenneté – qui est souvent appelée kazakhstanaise en géopolitique pour différencier les deux significations.
Pourvu d’importantes richesses naturelles, le Kazakhstan se trouve sans conteste privilégié par rapport à d’autres anciennes républiques soviétiques mais une réelle volonté politique a permis par ailleurs le développement des infrastructures et l’investissement dans les technologies, parfois en partenariat avec d’autres pays (par exemple avec la Russie pour le nucléaire).
Suite à l’indépendance, le président Nursultan Nazarbaïev décide de transférer la capitale administrative à Astana, alors petite ville de province au nord du pays. Sa décision est tout à fait pragmatique : en rapprochant la capitale de la frontière russe, il espère endiguer l’émigration de l’importante minorité russe dans l’ensemble très qualifiée, il affiche sa souveraineté sur ce territoire revendiqué par certains nationalistes russes, il augmente la population kazakhe dans cette région par l’arrivée massive de fonctionnaires et lance une politique de grands travaux censée soutenir la croissance. Ce très grand pays peu hospitalier dans sa moitié nord est quasiment vide, avec une superficie quatre fois supérieure à celle de la France pour dix-huit millions d’habitants.
Dans l’hyper-centre moderne, le quartier présidentiel offre une perspective de bâtiments à l’architecture remarquable cerclée d’avenues bordées d’immeubles encore en construction, motivant son surnom de Dubaï ou Singapour des steppes. De trois cent mille habitants en 1997, la ville en compte désormais plus d’un million et le rythme effréné des constructions anticipe encore une considérable augmentation. Notre passage à Astana le 6 juillet coïncide avec les vingt ans de la ville, anniversaire concomitant avec celui du président. Je viens ici avec l’espoir de contempler de mes propres yeux le spectacle kitsch que j’ai pu admirer dans le passé, reproduit sur de mémorables exemplaires de tasses, d’assiettes en porcelaines ou de cartes postales. Notre promenade dans la ville sous un ciel rêvé pour les photographies nous ravit, et je m’amuse grandement des découvertes architecturales. Allant de formes simples et harmonieuses à des créations tout à fait kitsch, les édifices publics ne laissent pas indifférents. La tour Bayterek, emblème de la cité, est probablement le plus marquant et la raison d’un futur voyage à Astana : nous n’avons pas pu la visiter et monter jusqu’au pinacle. Dans cette boule dorée démesurée censée représenter un œuf, une empreinte en creux de la main du Président Nazarbaïev – gravée dans une plaque d’or massif – constitue une attraction immanquable. Les jeunes mariés viennent notamment poser leur main dans ce moule afin de recueillir bonheur et longévité. Néanmoins, nous emportons avec nous l’image de ce symbole kazakh magnifié par le feu d’artifice et les fontaines illuminées de couleurs chatoyantes.
Nous apprécions de déambuler la journée dans les rues et les parcs sous un soleil chaleureux. Cette douceur de vivre n’est pourtant apparemment pas habituelle : pendant dix à onze mois de l’année, des vents glacés s’engouffrent dans les rues, dissuadant les promeneurs de flâner. Il paraît que bien des fonctionnaires regrettent l’accueillante région d’Almaty.
Astana Expo 2017
Durant l’été 2017, la ville héberge par ailleurs l’exposition internationale ayant pour thème les énergies du futur. Nous visitons les stands de quelques pays : celui de la France est assez original, plutôt technique et présentant quelques savants français renommés ainsi que de grands groupes industriels, et nous y découvrons notamment l’intéressant programme de recyclage de la ville de Paris. La plupart des autres pays dont nous visitons le salon exposent des projets vagues et conformistes qui se révèlent rapidement sans grand intérêt. Nous ne voyons qu’une fraction des stands, mais le clou du spectacle est sans le moindre doute la visite du musée de l’énergie du futur créé pour l’occasion mais destiné à perdurer. Logé dans une gigantesque sphère de verre de huit étages – prouesse architecturale de quatre-vingt mètres de diamètre –, ce musée baptisé Nur Alem présente les sources d’énergies non fossiles (Nur, diminutif de Nursultan est étrangement fréquent dans les appellations au Kazakhstan). A l’intérieur, le bâtiment se révèle encore plus impressionnant, centré sur une composition d’ascenseurs futuristes. Représentative de la volonté de créer un site grandiose, la vidéo de présentation Нұр Әлем en dit long sur les ambitions de ce musée. Au dernier étage, une passerelle de verre suspendue et longue d’une vingtaine de mètres permet aux plus téméraires de surplomber le vide. Pour les moins intrépides – dont je fais partie –, les étages disposés en mezzanines laissent voir les niveaux inférieurs jusqu’au rez-de-chaussée.
Évidemment la part belle du musée est attribuée aux énergies éolienne, marine, hydraulique et solaire, mais une importante section est également consacrée à la fusion nucléaire que de nombreux laboratoires de recherche à travers le monde essaient de rendre viable depuis les années 1950. Contrairement à la fission atomique qui génère de nombreux déchets radioactifs, la fusion en produit peu et ils ont de plus une durée de vie très courte. Ce processus au cours duquel deux noyaux légers s’assemblent en produisant une gigantesque quantité de chaleur est celui naturellement à l’œuvre dans le soleil et la plupart des étoiles. Malgré de nombreuses expériences, la science actuelle ne parvient toujours pas à créer de fusion stable pendant plusieurs minutes au cours de laquelle l’énergie produite est supérieure à celle nécessaire à provoquer la réaction. Mais rendre la fusion viable – notamment avec le deutérium contenu en très grande quantité dans les océans – donnerait accès à une source d’énergie colossale (la quantité de deutérium contenu dans un mètre cube d’eau peut potentiellement fournir autant d’énergie que la combustion de sept cents tonnes de pétrole). Le projet international ITER situé à Cadarache dans les Bouches-du-Rhône et initié par l’URSS en 1985 dans le cadre de la pérestroïka, est probablement le plus connu. Malgré des délais et coûts supplémentaires conséquents, le réacteur devrait être mis en service en 2025. A la fin des expérimentations il sera démantelé, puis à terme un véritable prototype de réacteur industriel sera construit, vraisemblablement pas avant 2050. Ce projet soulève cependant de nombreuses critiques, d’une part de physiciens qui jugent la construction de ce réacteur prématurée vu l’état des connaissances actuelles, et d’autres part de militants anti-nucléaires qui jugent le projet incertain, couteux et dangereux.
Les démonstrations de cinétique, d’énergie issue de la biomasse ainsi que d’utilisation d’algues spécifiques pour dépolluer l’air nous ont particulièrement fascinées. L’ensemble de l’exposition est spectaculaire et forme certainement le plus beau musée scientifique que je n’ai jamais vu (bien qu’en images de synthèse, la vidéo ci-dessus est assez réaliste). Les concepteurs sont parvenus à créer un lieu ludique adapté à la fois aux non-initiés et aux enfants mais également à un public plus averti grâce à son contenu riche et techniquement détaillé. A mi-parcours, un spectacle trépidant illustre l’énergie cinétique créée par le mouvement des corps : des artistes de cirque mettent en action un large mécanisme de poulies par leur mobilité et exercent des forces sur cette « sculpture cinétique » grâce à leurs figures. D’abord palpitant, le spectacle de ces acrobates bondissant sur des roues en rotation à plus de huit mètres de hauteur devient plutôt angoissant à mon goût. Mais heureusement, tout est bien rôdé. Nous passons ainsi près de cinq heures dans ce musée à observer les exemples illustrés, lire les descriptions captivantes et discuter avec des intervenants qui présentent quelques expérimentations.
Le président kazakh avait misé sur cette exposition pour étendre la notoriété de son pays et favoriser l’essor du tourisme. Pour la majorité des Occidentaux, le Kazakhstan n’évoque pas grand-chose si ce n’est le personnage de Borat, tiré du film satirique éponyme et présentant le pays comme très arriéré. Initialement condamné par le gouvernement, ce film a finalement été jugé acceptable car il avait fait découvrir l’existence de leur pays à un large public (même si la description était trompeuse). Et l’élite kazakhe a fini par comprendre que la satire concernait principalement les États-Unis. Il est tout de même toujours mal vu de s’y promener en tenue de Borat…
Afin de s’assurer la présence de nombreux exposants, le Kazakhstan aurait financé le stand de certains pays. Le coût de cette gigantesque infrastructure est estimé à entre trois et cinq milliards de dollars, déclenchant des critiques dans ce pays où les revenus principalement liés aux hydrocarbures ont fortement baissé ces dernières années et où les importantes disparités maintiennent une partie de la population dans la pauvreté. Par ailleurs, la communication pour faire connaître l’évènement à l’étranger a été manquée : hormis les délégations officielles, un public très restreint est venu de l’extérieur. Cependant, lors de notre passage l’exposition est pleine à craquer de Kazakhs venus de tout le pays, ce qui nous paraît remarquable. De nombreux spectacles et concerts sont organisés en marge de l’exposition principale, attirant probablement un public plus large. De même, l’anniversaire de la ville organisé avec force pyrotechnie contribue probablement à l’engouement des locaux pour leur capitale. Il est donc très possible que le tourisme local que nous observons ne soit pas représentatif des autres semaines.
Fragments de politique
Alors que nous explorons le paysage astanais pour le photographier de nuit, nous rencontrons un jeune Kazakh d’environ vingt-sept ans, avide de discussion. Très sympathique et parlant bien l’anglais, il est le candidat idéal auquel poser les questions qui nous trottent dans la tête depuis que nous arpentons son pays. Djouma (notre chauffeur kirghize, ex-militaire soviétique), qui avait effectué avec nous le périple de Bichkek à la mer d’Aral, nous avait relaté que certains Kazakhs avec qui il avait discuté se plaignaient d’être délaissés par le pouvoir. Ils déploraient notamment que les routes secondaires ne soient pas entretenues et que peu de transformations soient financées dans les campagnes. Malgré toute l’affection que je porte à Djouma, son penchant chauvin est indéniable et toute opportunité de mettre le Kirghizstan en valeur ou de rabaisser les autres pays est exploitée. Je considère donc ses déclarations comme certainement fondées sur des réalités, mais probablement arrangées pour servir sa propre pensée. Les autoroutes que nous avions empruntées se trouvaient en tout cas en bon état, d’autant plus vu les incroyables distances (je me souviens encore des panneaux tels que : « Samara, 2097 km »). Mais nous souhaitons en savoir plus sur ce qui est moins visible.
Notre interlocuteur nous explique qu’il aime surnommer le Président « le Roi », considérant que son pays fonctionne plutôt comme une monarchie. Il apprécierait un changement à la tête de la nation, quelqu’un de plus jeune et plus dynamique choisi par de véritables élections. Il est cependant très content de vivre dans son pays, a pu effectuer des études et prévoit de s’acheter un appartement à Astana malgré les tarifs exorbitants pour la majorité de ses concitoyens. Nous demandons ce que pense la majorité des Kazakhs, s’ils en ont marre et que la colère gronde. Sa réponse est catégorique : pas du tout. C’est d’ailleurs bien ce qui le désole : Nazarbaïev est très populaire et les gens ne souhaitent majoritairement pas de changement. Les habitants vivent pour la plupart bien mieux qu’à la chute de l’URSS, ils n’ont pas vécu de guerre, et même si la corruption ravage le monde politique, tous ont profité un minimum de l’enrichissement du pays. Contrairement à d’autres dictateurs, Nazarbaïev possède une vision pour son pays et a beaucoup agi pour le développer ; ainsi il anticipe la disparition des énergies fossiles qui font aujourd’hui sa richesse et positionne le pays sur les énergies du futur. Contrairement à la Russie qui a été jetée en pâture au capitalisme par le FMI puis n’a pas su diversifier ses revenus pendant que le prix du gaz culminait, le Kazakhstan est parvenu à conserver ses richesses et en faire partiellement profiter sa population qui a vu son niveau de vie augmenter. Le pays demeure cependant une dictature où la presse et l’opposition sont muselées, voire emprisonnées et où une minorité accapare une grande partie des richesses. Le culte de la personnalité, peu visible dans les rues mais qui s’observe abondamment dans les musées, nous a rendus un peu goguenards. Mais suite à nos diverses expériences, notre sentiment est loin d’être franchement négatif envers Nazarbaïev. Et la conclusion sur sa popularité dans le pays est qu’en cas d’élections parfaitement démocratiques, il est tout-à-fait plausible que Nazarbaïev soit réélu, mais probablement en dessous des 97,7% actuels !
Notre découverte de la capitale du Kazakhstan demeure malheureusement incomplète. L’Astana de l’ère soviétique nous reste inconnue, une violente intoxication alimentaire de Fred laissant notre exploration inachevée. Et alors que Fred est quasi mourant, nous expérimentons une fois de plus le chaleureux accueil centrasiatique. Nous demandons aux propriétaires si nous pouvons rester dans l’appartement jusqu’à notre départ à l’aéroport dans la soirée, mais l’arrivée de nouveaux locataires nous force à partir. Les propriétaires nous proposent alors de nous emmener chez eux où Fred peut passer la journée alité. Je dois longuement insister pour leur laisser de l’argent en remerciement du repas et de leur accueil. Et quand ils acceptent enfin, la jeune femme s’empresse d’aller nous acheter de petits cadeaux en échange ! De nos âges, nos hôtes se sont lancés récemment dans la location d’appartements après avoir travaillé plusieurs années dans les domaines du juridique et du commerce. Et bien que tous deux d’ethnie kazakhe, ils discutent en russe entre eux. Cela nous paraît d’autant plus surprenant que certaines lois existent pour forcer l’élite à parler kazakh, notamment celle obligeant le Président à maitriser cette langue pour valider l’élection.
Nous terminons ainsi notre séjour express dans les deux métropoles kazakhstanaises, qui nous ont surpris mais également enchantés par leurs différences. Alors qu’Almaty semble agréable à vivre, Astana fascine par son architecture stupéfiante mais paraît terne et pétrifiée en comparaison de son double méridional.
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