- Xi’an, ancienne grande capitale de Chine
- Aux confins ouest de la Grande Muraille
- Le Xinjiang, la Chine en Asie centrale
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Notre arrivée dans le Xinjiang amorce notre séjour en Asie centrale. Contrée aux populations musulmanes de langue turque (hormis le Tadjikistan de langue perse), elle est composée de ce qui était nommé au XIXe siècle le Turkestan russe (plus tard républiques soviétiques d’Asie) et le Turkestan oriental (Xinjiang chinois).
Malgré l’importance de la religion l’alcool n’est pas un tabou, la consommation de bière étant fréquente et certaines oasis produisant même du vin. Le porc est par contre une denrée rare (mais pas inexistante), que nous n’avons pas goutée pendant nos trois mois et demi dans la région. Dans ces territoires où le climat continental affirmé provoque des été chauds et secs et des hivers rudes et glacials, le mode de vie ancestral demeure visible dans les villages-oasis à l’ancienne. En été les Ouïghours dorment à l’extérieur, voire au dessus d’un cours d’eau pour profiter de la fraîcheur de la nuit tandis qu’ils installent leurs matelas spartiates sur des surfaces surélevées chauffées au feu en hiver. Malgré des infrastructures modernes comme ailleurs en Chine, ce peuple d’Asie centrale est peut-être celui qui a le plus conservé ses traditions dans sa manière de vivre.
La région autonome ouïghoure du Xinjiang
Plus grande province de Chine – trois fois plus vaste que la France –, le Xinjiang s’avère stratégique : il regorge de ressources naturelles (gaz, pétrole, forts vents et ensoleillement) et possède des frontières avec huit pays : la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan, et l’Inde.
Sur l’ensemble de son territoire, la Chine compte cinquante-six minorités. Les Hans, majoritaires, représentent quatre-vingt-douze pour cent de la population. L’appellation région « autonome » signifie qu’une autre ethnie, en l’occurrence ouïghoure, y est substantielle, voire majoritaire. Dans les faits cette autonomie reste symbolique, et les décisions dépendent du pouvoir de Pékin. Depuis plusieurs siècles, les Ouïghours tentent régulièrement de s’affranchir de la tutelle chinoise et réclament plus d’autonomie, voire l’indépendance. En réponse la Chine durcit son contrôle et une fraction de la minorité se radicalise dans son opposition.
Depuis les émeutes de 2009 au cours desquelles plusieurs policiers Hans furent tués, les affrontements restent réguliers et les tensions vives, justifiant une surveillance accrue. Le contrôle policier est omniprésent, notamment sur les routes où les automobilistes doivent très fréquemment enregistrer leur carte d’identité électronique aux postes de pointage. Nous sommes privilégies en tant que touristes, et passons les barrages sans sortir de la voiture. Afin d’éviter les heurts, la plupart des policiers effectuant les vérifications appartiennent eux-mêmes à l’ethnie musulmane ; mais d’après nos guides leurs prérogatives sont limitées.
Alors que l’un de nos accompagnateurs n’hésitait pas à nous parler franchement (à part lors de ma question sur la présence de l’islamisme qu’il a éludée avec un certain malaise, m’assurant ainsi que ce phénomène n’est pas illusoire), l’autre évitait toute question sensible, nous avouant finalement à demi-mot que l’ensemble de la profession avait eu peu de temps auparavant une conférence imposant le discours officiel pour les touristes. Notre sentiment suite à notre séjour dans cette région est ainsi assez mitigé, dévoilant une oppression forte limitant les droits d’une minorité qui se souhaiterait (plus) indépendante, mais également un risque de radicalisation latent qui pourrait menacer toute la région d’Asie centrale. Mais même si cette conjoncture mérite toute notre réflexion dans le contexte géopolitique actuel, elle n’entrave pas l’intérêt de découvrir cette région culturellement et naturellement très riche, et finalement très sûre pour le vacancier de passage.
Une région humanisée par les glaciers
La province est un vaste désert scindé par les Monts Célestes, dont les glaciers ont enfanté les oasis qui la parsèment. A l’est s’immisce le désert de Gobi qui s’étend depuis la Mongolie, tandis que le désert du Taklamakan embrasse tout le sud de la région. Cerné par les Monts célestes, le Pamir et les Kunlun, ce territoire de dunes surnommé la « mer de la mort » couvre la majorité du bassin du Tarim. Alimenté par la fonte des glaces de ces trois chaînes montagneuses – dont certains sommets culminent à plus de sept mille mètres d’altitude –, ce bassin fluvial dispense la vie dans cette contrée par ailleurs très inhospitalière. Le long des rivières, les oasis ont permis il y a plus de deux mille ans l’établissement de villes florissantes sur les divers itinéraires de la route de la soie. Cependant la contraction des glaciers au cours du réchauffement climatique des dix mille dernières années a réduit le débit des torrents, faisant disparaître nombre d’entre elles au fil des derniers siècles, abandonnées par les hommes et recouvertes par les sables.
Ces deux déserts impitoyables atteignent 50°C en été et -30°C en hiver, et celui du Taklamakan est sujet à des tempêtes de sable effroyables qui ont provoqué la disparition de caravanes entières. Les deux artères principales de la route de la soie contournaient cet enfer par le nord et par le sud.
Les oasis maraîchères
Nous suivons la voie du nord et parvenons à Tourfan. Située dans la dépression du même nom à une altitude de cent cinquante mètres en dessous du niveau de la mer, cette oasis était une étape importante de la route de la soie. Aujourd’hui encore, la région est spécialisée dans la production de fruits secs et en particulier de raisin, dont la qualité varie avec la technique de séchage. Les plus prisés proviennent des séchoirs, parallélépipèdes de briques crues ajourés et plantés de piquets sur lesquels les grappes sont suspendues afin de se déshydrater. Ce processus long et délicat garantit une consistance et un goût supérieurs. Les raisins de moindre qualité sont séchés étendus à terre, en plein soleil. La région produit de nombreux fruits et légumes comme les melons, pastèques, abricots et aubergines.
Alors que les spécialités culinaires ouïghoures sont similaires à celles d’Asie centrale, il est évident après avoir longuement arpenté le Turkestan russe que la gastronomie est autrement plus développée du côté chinois (Turkestan oriental). Sur l’ensemble de notre parcours en Chine, toutes nos expériences gustatives sont réparties entre le correct et l’excellent. Une salade de menthe au bœuf mariné et piments séchés dégustée dans un petit restaurant de Pékin constitue notre meilleur souvenir. Ce plat apparemment simple s’est avéré extrêmement raffiné et surprenant. Dans un petit village dans les alentours de Tourfan, nous dégustons des nouilles aux légumes sautés que nous trouvons très bonnes. Notre guide ne finit pas son assiette, clamant que les légumes manquent de goût. C’est sans aucun doute le seul endroit de tout notre périple où nous rencontrons un peuple possédant un véritable intérêt pour la gastronomie. Néanmoins des amis n’ont pas eu cette chance dans d’autres régions de Chine, certains se trouvant même incapables de se nourrir correctement pendant plusieurs jours !
Dans les rues – même des plus petits villages que nous parcourons – l’islam semble d’un style plutôt apaisé, les femmes vaquant à leurs affaires ou conduisant leurs voisines en discutant à bord des innombrables triporteurs. Le voile intégral étant interdit en Chine, les dames portent d’élégants fichus souvent colorés, brillants et jouant sur la transparence tandis que les messieurs arborent toujours leur calotte traditionnelle brodée, qui est devenue rare chez leurs cousins ouzbeks (d’origine proche, ils partagent les mêmes tenues et traditions). Cependant, en théorie, l’Islam ouïghour nous paraît assez archaïque, interdisant aux femmes l’accès aux mosquées, les mettant au service de leur mari et permettant la polygamie (cas du frère d’un de nos guides) bien que ce soit un délit dans la loi chinoise.
L’oasis de Tourfan
En bordure des Monts Flamboyants, les grottes des mille Bouddhas de Bezeklik furent parmi les plus belles redécouvertes au début du XXe siècle. Malheureusement l’explorateur Albert Von Lecoq, auquel les Chinois vouent toujours une haine féroce, découpa des pans entiers de fresques et ordonna d’enduire de terre celles qu’il ne pouvait emporter en Allemagne. On ne peut aujourd’hui observer qu’avec un pincement au cœur ces murs vides ou mutilés, dont les œuvres originales ont été volées puis partiellement détruites par les bombardements alliés sur Berlin à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
La prospérité de la région n’a été possible que grâce à un ingénieux système d’irrigation souterrain d’origine perse appelé karez, permettant d’acheminer l’eau des glaciers jusqu’aux habitations en restreignant l’évaporation. La maçonnerie débute au domaine du propriétaire, depuis lequel un tunnel est creusé en pente douce en direction des montagnes ; en cas de rencontre avec un obstacle, la trajectoire est légèrement déviée. Tous les dix mètres, une bouche d’aération permettant le passage d’un homme le relie à la surface pour l’entretien et le nettoyage du canal. Ces aqueducs souterrains peuvent nécessiter quatre-vingt kilomètres de tuyauterie avant de rencontrer la source tant désirée.
Dans la vieille ville de Tourfan, le minaret d’Emin bâti de bois et de brique en 1777 demeure l’emblème de la cité malgré son utilisation désormais laïque. Plus haut minaret de Chine, il domine la mosquée à quarante-quatre mètres de hauteur, s’appuyant sur dix mètres de diamètre de maçonnerie à sa base. Le musée municipal expose quelques momies, dont celle d’un général datant de deux mille ans en parfait état, et celle d’une jeune fille de quatre mille ans ! Le climat très sec de la région empêche la putréfaction des corps puis les conserve admirablement sans nécessiter d’embaumement.
A vingt kilomètres, et plus encore que l’ancienne ville de Gaochang et son cimetière, la citadelle de Jiaohe abandonnée vers le XIVe siècle a préservé ses rues et d’éloquents vestiges. Les deux villes ont été conçues en creusant des promontoires de terre surélevés, abritaient un quartier d’habitations et de spacieux temples bouddhiques dont certaines niches ont été préservées. Plus de mille ans après leur construction, de nombreux édifices ont conservé leur caractère distinctif, comme certaines maisons de négociants, des stupas ou le bureau des douanes où les voyageurs à la tête de caravanes s’enregistraient. Jiaohe a été creusée sur une île haute de trente mètres, dégageant petit à petit les rues et les étages les plus élevés des bâtisses en s’enfonçant, tandis que certains niveaux supérieurs des bâtiments sont façonnés à la terre crue. Cette structure originale protège la ville par ses remparts naturels hauts de plusieurs dizaines de mètres.
Depuis la route nous menant à Ürümqi, nous apercevons enfin les Montagnes Célestes qui me font rêver depuis si longtemps. Partagées avec la Kirghizie (ou Kirghizstan) et le Kazakhstan, elles ont été formées avec l’Himalaya par la subduction de la plaque tectonique indienne sous la plaque eurasienne depuis cinquante millions d’années. La plaque indienne avançant toujours à la vitesse de cinq centimètres par an, le massif de l’Himalaya continue de s’élever d’environ cinq millimètres chaque année. Sur l’autoroute qui longe le pied de ce massif troisième plus haut au monde, nous observons les gigantesques champs d’éoliennes et de panneaux solaires. Alors que les premières générations d’éoliennes avaient été aménagées par une entreprise suisse, les Chinois ont acquis depuis la technologie de pointe de cette industrie et modernisent eux-mêmes leur gigantesque parc.
Kachgar : l’extrême-occident chinois
Nous volons alors jusqu’à Kachgar où nous séjournons quelques jours avant de poursuivre le long de la voie commerciale en sens inverse, vers Ürümqi.
Au contraire des précédents sites religieux quasi exclusivement bouddhiques, les monuments que nous découvrons à Kachgar sont islamiques. Ils empruntent cependant fréquemment des symboles bouddhiques tels la swastika. Presque uniquement connue sous le nom de croix gammée chez nous – à cause de sa configuration en forme de croix de gammas grecs Γ –, la swastika est un signe développé depuis plus de dix mille ans par de nombreux peuples de tous les continents. Son existence multiple proviendrait de sa simplicité et d’une tentative universelle de représenter le mouvement, comme celui du soleil ou des étoiles. Dans la plupart des cas, elle existe dans les deux orientations : rotation dans le sens des aiguilles d’une montre, et à l’inverse (卐 ou 卍). Elle fut empruntée par Hitler à la culture indienne pour représenter l’aryanisme – théorie (sans aucun fondement scientifique ou historique) de l’existence d’une prétendue race indo-européenne supérieure (qui a rapidement dérivé vers une race nordique ou anglo-saxonne) qui aurait fondé des cultures éminentes avant de se mélanger à des races soi-disant inférieures. Aryen vient du sanskrit « Arya » ou avestique « Airiya » signifiant « Honorable, Noble » et utilisé par certains peuples indo-iraniens pour se désigner. Bien que dévoyée par le nazisme, la signification de swastika s’avère presque toujours positive signifiant par exemple « ce qui apporte la bonne fortune, ce qui porte chance » en sanskrit et « éternité » ou « cœur de Bouddha » en chinois. Symbole désormais devenu tabou en occident, elle ne cesse pourtant de représenter des concepts importants dans de nombreuses croyances, dont certaines subsistent également en Europe.
Nous débutons l’immersion dans l’architecture ouïghoure avec la visite du mausolée d’Abakh Khoja, lieu le plus saint du Xinjiang, construit au XVIIe siècle. Magnifiquement décoré de faïences, il est flanqué d’une mosquée dont les plafonds et piliers sont peints d’opulents paysages et motifs floraux. Le mausolée de ce chef islamique considéré comme un prophète est également très renommé pour abriter la sépulture d’Iparhan, petite fille d’Abakh Khoja plus connue sous le nom de « concubine parfumée ». Unique concubine ouïghoure de l’empereur Qianlong au XVIIIe siècle, elle fut célèbre pour le parfum floral délicat qui émanait naturellement de son corps, toujours perceptible sur ses terres natales d’après les Ouïghours.
Bien qu’une partie de la vieille ville de Kachgar ait été récemment détruite pour insalubrité (ou annihiler la culture ouïghoure selon certaines sources), la fraction qui en subsiste nous permet de découvrir un charmant entrelacs de ruelles de terre battue bordées de maisons en pisé fermées par de grandes portes ouvrant sur les cours intérieures.
Nous trouvant si près du désert du Taklamakan, nous nous décidons à rouler jusqu’à son seuil, où les premières dunes de sable se forment. Etant les seuls touristes sur place malgré des infrastructures démesurées, nous essayons les deux activités proposées, circuit en buggy et à dos de chameau sur les dunes. Le buggy s’avère bien plus renversant que ce que nous imaginions, dévalant puis gravissant des dunes presque verticales à fond de train. Notre guide profite de ce temps de repos pour s’engager dans une lutte à mains nues avec l’un des employés du site, entraînant une ambiance très festive auprès de leurs collègues. Nous reverrons à maintes reprises les jeunes hommes d’Asie centrale s’employer ainsi à la lutte dans la rue, à la campagne et même dans une galerie commerciale.
Sur la route du Karakorum
Un tout autre paysage nous attend le lendemain : nous empruntons une section de la route mythique par laquelle la route de la soie traversait les hauts cols de ce massif situé à la frontière de la Chine, du Pakistan et de l’Inde. Cette chaîne renferme le deuxième plus haut sommet du monde, le K2 qui culmine à 8 611 mètres d’altitude sur la frontière sino-pakistanaise. Les paysages varient merveilleusement tout au long du chemin, depuis les montagnes de grès multicolores de la vallée de Gaizi jusqu’au éminences de sable ivoirin qui bordent les eaux turquoise du réservoir artificiel de Bulunkou. Un troupeau de yak faisant trempette sublime cet incroyable paysage. Puis le lac Karakul encerclé de sommets enneigés offre un spectacle inoubliable avec ses yourtes traditionnelles (et quelques ruines en béton qui ne sont pas sans charme) et son petit cheval kirghize. Deux chameaux imperturbables semblent converser sur son rivage.
En redescendant, sur le versant de la rive droite du Gaizi des ruines de caravansérail subsistent en surplomb des gorges. Et à notre arrivée à Kachgar, un haut dignitaire chinois statufié et non identifié nous accueille (ce n’est pas Mao bien qu’il demeure apparemment à Kachgar l’une de ses dernières grandes statues).
Les marchés
Le dimanche matin, une virée par la mosquée et le quartier des artisans nous mène au marché aux animaux où nous sommes fascinés par le karakul, mouton à queue adipeuse typique de l’Asie centrale. Sa pompeuse paire de fesses garnies de gras, ingrédient primordial de la gastronomie locale, lui offre la célébrité et des réserves pour résister en cas de famine. Afin de faciliter les transactions, les entremetteurs sont nombreux, conciliant les acheteurs et les vendeurs et recevant une commission en cas d’accord sur le prix. Pour sceller le contrat, une interminable poignée de main à trois est nécessaire, parfois avec l’insistance du médiateur qui doit saisir puis maintenir jointes les deux autres mains ! Les triporteurs que nous avons pu observer à outrance partout en Chine sont une fois de plus mis à contribution, chargés de moutons, de chèvres ou d’hommes.
Au marché général, thés et épices de toutes sortes cohabitent avec les mixtures et remèdes traditionnels, grands consommateurs de hérissons et reptiles secs en tous genres.
Kucha
S’ensuivent neuf heures de voyage en train-couchette vers Kucha. Pareillement au train de Tourfan, les draps ne sont pas remplacés au changement de passager, ce qui dégoûte et fait râler sa majesté Fred. A l’arrivée, nos guide et chauffeur sont – pour la première fois au Xinjiang – de l’ethnie Han. Le programme est encore chargé, et nous enchaînons une tournée aux ruines de la ville bouddhique de Subashi, aux grottes de Kizil – plus anciennes de Chine – décorées de statues et fresques bouddhiques, puis dans le tortueux grand canyon de Tianshan. Tapis dans les rochers, nous y apercevons le mystérieux chien gardant le passage et un antique bouddha en ciment.
A l’issue de cette intense journée de visite, nous embarquons dans le train de nuit (où les draps sont propres !) à destination d’Ürümqi d’où nous décollerons vers Bichkek le lendemain soir.
Ainsi se termine notre séjour en Chine, passionnant et extrêmement riche en découvertes sur la culture et l’histoire chinoises, et en particulier le bouddhisme et la route de la soie. Nous n’avons arpenté qu’une infime portion de ce gigantesque pays, mais ce séjour nous a incontestablement donné envie de continuer son exploration. Nous sommes d’ailleurs tellement enchantés qu’il nous semble envisageable d’y vivre quelque temps pour mieux nous en imprégner.
Un peu plus sur la situation politique au Xinjiang
Bien que les Chinois aient déjà régenté la région à plusieurs reprises avant l’arrivée des nomades ouïghours fuyant la Mongolie en 840, ces derniers deviennent rapidement l’ethnie dominante. Initialement convertis au manichéisme, ils deviennent musulmans à la suite d’invasions turques au Xe et XIe siècles et adoptent la langue des conquérants. La région est par la suite de nouveau administrée occasionnellement par plusieurs dynasties chinoises, notamment la dynastie Yuan fondée par le petit-fils de Gengis Khan au XIIIe siècle. Finalement, les victoires de l’empereur mandchou en 1759 incorporent complètement le Xinjiang dans l’empire chinois, dans lequel il demeure depuis malgré de nombreux soulèvements de la population turcophone.
Les Ouïghours représentent près de la moitié de la population musulmane de Chine ; les Hui, légèrement plus nombreux avec plus de dix millions d’habitants forment une ethnie proche des Hans mais pratiquant l’Islam.
Le Xinjiang fait l’objet d’un autoritarisme prononcé de la part de Pékin depuis la création de la République populaire de Chine en 1949. Cette surveillance conjuguée à une limitation des droits des ouïghours est liée aux ambitions d’autonomie de la région plutôt qu’à sa religion, les Hui étant laissés relativement libres de pratiquer. Cette crainte du pouvoir communiste athée fait notamment suite aux deux éphémères républiques du Turkestan oriental qui se sont déclarées indépendantes en 1933-1934 et 1940-1949 dans deux régions du Xinjiang.
Alors qu’en 1949 l’ethnie chinoise principale ne représentait que six pour cent de la population contre soixante-quinze pour cent d’Ouïghours, ces derniers ne sont plus que quarante-deux pour cent vs quarante pour cent de Hans en 2010 (à titre de comparaison les proportions au XVIIIe siècle se situaient à cinquante-quatre pour cent d’Ouïghours vs trente-trois pour cent de Hans). Cette diminution de la fraction turcophone est essentiellement due à la sinisation. Cette colonisation importante par les Hans fut organisée dès l’avènement de Mao pour limiter les velléités d’indépendance des minorités. Néanmoins cette immigration s’est principalement orientée vers la région du nord et la capitale Ürümqi, laissant au sud du Xinjiang une population ouïghoure à 90%.
Les Ouïghours ont durant cette période eux-mêmes migré – dans de bien moindres proportions – vers d’autres régions de la Chine et composé une diaspora majoritairement implantée dans les pays turcophones. Certaines organisations fondées par ces expatriés – dont une proportion non négligeable sont des opposants au régime chinois – nient l’existence d’un extrémisme chez certains de leurs compatriotes. Cependant ce phénomène – bien que marginal – semble incontestable et favorisé par l’ignorance de la cause ouïghoure par les régimes occidentaux qui a malheureusement permis la récupération par la mouvance islamiste de nombreux sites ou forums nationalistes (sites créés dans les pays d’accueils de la diaspora car la Chine opérant une censure stricte sur les contenus religieux, ils sont quasiment inexistants localement). Les aspirations initialement indépendantistes d’une frange de la population dérivent ainsi petit à petit vers des revendications religieuses.
L’autoritarisme dans la région est officiellement lié à la lutte contre le terrorisme islamiste. Ce risque est effectivement bien présent, plusieurs attentats ayant été réalisés en Chine ou en dehors de ses frontières par des personnes appartenant à la minorité ouïghoure, notamment à travers le Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO), désormais dénommé Parti islamique du Turkestan (PIT) et affilié à Al-Qaïda. Cependant le régime chinois semble instrumentaliser ces évènements afin de justifier ses contrôles assidus et éradiquer plus discrètement sous couvert de sécurité les indépendantistes pacifiques.
Les techniques usées pour endiguer la force de l’Islam sur ce territoire sont variées : interdiction de fréquenter la mosquée avant dix-huit ans, impossibilité pour les fonctionnaires de pratiquer la religion (dont le ramadan), désignation des imams par l’Etat, mosquée ouverte uniquement aux heures de prière. Ces lois ressemblent fortement à celles en place en Ouzbékistan, pays également laïc dont la population proche des Ouïghours est à quatre-vingt-quatorze pour cent musulmane. Alors que nos ultérieurs interlocuteurs de l’ethnie ouzbek semblent considérer que ces mesures garantissent la paix du pays, les quelques représentants de la minorité chinoise avec lesquels nous conversons vivent ces mesures comme une oppression injustifiée.
Dès qu’ils quittent leur région, les Ouïghours souffrent d’être discriminés et associés aux terroristes (racisme au faciès), augmentant l’amertume d’une population qui se considère colonisée par la force. Par exemple une réservation d’hôtel dans une autre province sera annulée pour des raisons fallacieuses dès que le réceptionniste reconnaitra un Ouïghour face à lui. De telles inégalités se remarquent également aux embauches, où les Chinois Hans sont nettement favorisés dans les entreprises privées non locales malgré la loi. Les Ouïghours se considèrent par ailleurs spoliés de leurs richesses naturelles, expliquant par exemple que le gaz produit chez eux est commercialisé à moindre coût dans d’autres provinces. Malgré l’existence d’une élite ouïghoure, éduquée et intégrée à l’échelle nationale, une grande part de la population est pauvre, ne permettant pas l’accès aux études supérieures aux enfants et perpétuant le cantonnement des Ouïghours dans des classes sociales inférieures à celles des Hans du Xinjiang. Tout cela révèle une certaine faillite du modèle chinois pour donner aux minorités le sentiment qu’elles ne sont pas des citoyens de seconde zone et qu’ils peuvent aspirer à la même prospérité que les Hans. Cette exclusion d’une partie de la population ouïghoure de la réussite du pays depuis les années 1950 a construit un climat de frustration et de ressentiment qui a grossi au fil des années et poussé certains d’entre eux à s’orienter vers le nationalisme, voire vers des méthodes violentes pour lutter contre ceux qu’ils considèrent comme des colonisateurs et des oppresseurs.
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