Album Red Center Album Best of Australie
D’Adélaïde, nous volons vers Alice Springs, petite ville perdue dans le centre désertique du pays. L’avion étant presque plein, nous voyageons en Classe Affaires pour ce court trajet. Je suis enchantée de me régaler grâce à la machine à pancakes du salon d’aéroport – il suffit d’appuyer sur un bouton pour qu’une appétissante petite galette jaillisse en moins d’une minute !
Comme de longues distances en voiture se profilent, nous acquérons dès notre arrivée quelques compagnons de route : les Cds de deux artistes australiens de premier plan – AC/DC et Nick Cave – ainsi qu’Alt+J et Queen of the Stonehenge afin de varier les plaisirs. Nous voilà parés pour affronter les vastes étendues arides du Territoire du Nord.
Les Aborigènes
Alice Springs est le premier endroit (et le seul en dehors d’Uluru) où nous rencontrons des Aborigènes. Le contraste est frappant entre les Blancs qui vaquent banalement à leurs affaires et les Aborigènes qui semblent abattus, miséreux et perdus sur un coin de trottoir. La lecture par la suite du livre – très intéressant et souvent désopilant – de Bill Bryson sur l’Australie m’a stupéfiée par la similitude de sa description du même lieu vingt ans plus tôt. L’explication de cette colonisation particulièrement désastreuse est complexe mais je vais tenter de vous en livrer quelques éléments.
L’arrivée des Aborigènes en Australie semble remonter à environ cinquante mille ans. Des outils en pierre polie datant de trente-cinq mille ans y ont été découverts, bien avant que les Homo Sapiens n’atteignent l’Europe. Ce peuple serait venu d’Indonésie par bateau ou de Nouvelle-Guinée par des terres émergées à l’époque. Leur culture est aujourd’hui considérée comme étant la plus ancienne survivante au monde et passionne les ethnologues.
Lors de son passage en 1780, James Cook observe que les Aborigènes paraissent bien plus heureux que les Européens et ne s’intéressent pas aux visiteurs et à leurs techniques maritimes avancées. Malgré leur pacifisme, leur seule attente semble de voir ces marins malvenus déguerpir dès que possible afin de recouvrer leur paisible vie. Malheureusement pour eux les colons s’établissent définitivement sur leur territoire après quelques brefs repérages.
Lors de leur installation sur l’île, les Britanniques déclarent avoir découvert une terre vierge – niant ainsi l’existence ou l’humanité des Aborigènes – et en constituent même par la suite un article de la constitution australienne retiré en 1992 suite à la décision d’un tribunal. Malgré quelques explorateurs brillants qui reconnaissent le caractère humain et l’intelligence des Aborigènes, la majorité des colons – en grande partie anciens bagnards et / ou incultes – emploient allègrement leur bêtise pour s’imaginer supérieurs et seuls maîtres sur Terre. Contrairement à la Nouvelle-Zélande, aucun traité n’est jamais signé avec les Aborigènes qui sont donc tout simplement expropriés. Ces derniers commencent la guérilla lorsque les occupants s’accaparent leurs terres, et parviennent à en terroriser beaucoup. Les colons répliquent avec une grande violence et sans discernement, massacrant hommes, femmes et enfants quasiment sans le moindre risque de représailles des autorités britanniques jusqu’à la fin du XIXe siècle.
De 1905 à 1969, dans le but d’éradiquer cette culture qu’ils jugent inférieure à la leur – et qui leur semble de toute manière vouée à disparaitre à leur contact selon le darwinisme social –, les Australiens blancs enlèvent des dizaines de milliers d’enfants aborigènes métissés de sang blanc pour les élever dans des centres d’accueil religieux ou des familles blanches. L’objectif de ce projet surnommé par la suite « Générations volées » est de ne conserver que des citoyens blancs après quelques générations tandis que la culture et le peuple aborigènes disparaissent définitivement. Selon les Etats, les autorités argüent de vouloir protéger ces enfants ou ne jugent même pas nécessaire de justifier ces enlèvements. Dans de nombreux cas, les infrastructures se révèlent incapables de fournir des conditions de vie décentes à ces orphelins arrachés à leur famille et nombre d’entre eux sont victimes d’abus sexuels (17% des filles et 8% des garçons interrogés). Des dizaines de milliers de familles aborigènes sont ainsi ravagées pendant des décennies au cours de cet ethnocide organisé par l’Etat et l’Eglise.
Pendant des siècles – et peut-être encore aujourd’hui –, l’Occident est ainsi prompt à imaginer que sa civilisation est la plus évoluée et que cela lui donne des droits sur les autres. Cela lui permet d’avoir bonne conscience quant à la plupart de ses colonisations pourtant plutôt motivées par l’expansion de son domaine d’influence et l’exploitation des richesses du territoire assujetti que par des sentiments philanthropes.
Pourtant le développement d’un peuple dans un ou plusieurs domaines n’a aucun rapport avec une hypothétique et absurde hiérarchie des cultures. Et pourquoi ne pourrait-on pas considérer plus évolué de vivre simplement heureux, en harmonie avec notre environnement et durablement comme les Aborigènes plutôt que de s’inventer chaque jour de nouveaux besoins qu’il nous sera bientôt impossible de satisfaire sans définitivement ravager notre planète ?
Quoiqu’il en soit, cette vision des indigènes à Alice Springs nous a profondément mis mal à l’aise, et continue de nous hanter trois mois plus tard. La détresse de ce peuple privé de ses richesses et voué à vivre dans la fange d’un monde qu’il n’a jamais désiré nous a paru poignante. Dans aucun autre pays visité au cours de nos voyages les indigènes ne nous ont semblé autant exclus de la réussite du pays et absolument invisibles dans la quasi-totalité des localités que nous avons arpentées.
Toutefois au cours des dernières décennies, de nombreuses opérations de réconciliations telles que la restitution d’importants territoires aux Aborigènes et la reconnaissance des atrocités commises par les Etats australiens, démontrent que la situation évolue positivement. Le chemin pour permettre à ces populations – dont les aspirations divergent radicalement – de vivre ensemble parait toujours long et semé d’embuches, mais la récente prise de conscience laisse espérer la poursuite des améliorations.
Les West Macdonnell Ranges & Kings Canyon
Après cette étape fugace à Alice Springs, nous prenons la route vers les West Macdonnell Ranges dressées à l’ouest de la ville. Cette chaine de montagnes rouges est éventrée de quelques goulets par lesquels les rivières s’écoulent lors de pluies occasionnelles. A cette époque de l’année les ruisseaux sont asséchés et le panneau d’interdiction de baignade parait bien incongru. Quelques sporadiques trous d’eau subsistent toutefois et les familles locales aiment à se baigner dans ces piscines naturelles fraîches et profondes, bordées de larges eucalyptus « ghost gums ».
Notre hôtel bâti au début du XXe siècle – et très peu modernisé depuis – propose des chambres plus que sommaires où nous redoutons chaque nuit d’être assaillis par une veuve noire ou un serpent de la Mulga. Finalement, seule une souris viendra nous rendre visite, parvenant quand même à nous effrayer : de multiples pancartes nous préviennent que ces reptiles extrêmement venimeux en sont friands. Nous survivons somme toute à cette terrible expérience mais il est incontestable que les histoires du bush de Kenneth Cook ont exalté notre paranoïa.
Alors que nous nous attendions à un désert désertique (eh oui), de nombreux arbustes et graminées – dont le foisonnant triodia, communément appelé spinifex – prolifèrent naturellement dans la région. La rareté des précipitations est compensée par la multitude de nappes phréatiques qui permettent l’existence d’une flore assez riche et très spécifique à l’environnement auquel elle s’est adaptée. Sur des kilomètres, les termitières dont les tours brunes dépassant ordinairement le mètre sculptent le paysage.
Pour rallier Kings Canyon situé à trois cents kilomètres au sud-ouest, nous empruntons la Mereenie Loop qui parcourt plusieurs territoires aborigènes. Cet itinéraire nous permet de contempler Gosse Bluff, cratère de météorite d’environ cinq kilomètres de diamètre, sacré pour le peuple aborigène propriétaire de ce territoire. A la lecture des panneaux informatifs, je suis fascinée de découvrir que dans ses légendes, ce peuple perspicace a attribué l’origine de ce site à la chute d’un objet venant du ciel, en l’occurrence un bébé divin.
La randonnée de Kings Canyon se révèle incontournable malgré l’agglutinement de touristes autour du premier point de vue. Les nombreux petits dômes qui caparaçonnent le sommet de la montagne donnent au site un air de cité perdue, comme si l’on apercevait au-dessus de la cime des arbres une forêt de toits de temples bouddhiques. A l’origine, la roche était striée perpendiculairement, façonnant d’innombrables petits cubes. Avec l’érosion, chaque cube a été poli jusqu’à former une rotonde. Au pied des montagnes, les gouttes suintant d’un robinet attirent des escadrons de volatiles, parmi lesquels sont abondamment représentés les diamants mandarins qui virevoltent dans un sourd pépiement.
Uluru-Katja Tutta
Après cette agréable promenade, nous prenons la route vers le parc national d’Uluru-Katja Tutta, au cœur duquel sont campées les gigantesques masses rocheuses éponymes. De même que les Remarkable Rocks de l’Île Kangourou, ce sont des inselbergs – blocs de roche dure dont les contours plus friables ont été érodés. Une centaine de kilomètres avant d’atteindre le parc apparaît le mont Conner, fréquemment confondu avec Uluru et au nord duquel s’étend un immense salar qui nous éblouit par sa blancheur et contraste avec les sables orange vif de la région.
Les levers et couchers de soleil qui magnifient la couleur du rocher Uluru sont à l’origine de la majorité des visites dans le parc national. Nous ne manquons pas à la tradition, et l’observons sous toutes les coutures de l’aube au crépuscule. Ce roc sacré pour les Aborigènes est à certains endroits inaccessible ou interdit aux photos, et son ascension sacrilège. Cependant, dans les années 1940 de nombreux colons ont estimé avisé d’en pratiquer l’escalade, développant le tourisme autour de cette activité lucrative. Bien que déconseillée aujourd’hui, cette activité n’est toujours pas interdite. Il nous parait insensé que des visiteurs considèrent encore qu’il est décent de pratiquer cette ascension blasphématoire aux yeux des Aborigènes, juste pour plastronner sur un selfie.
En le contournant, nous voyons par ailleurs un touriste frapper le rocher avec un caillou pour en obtenir un fragment. Je l’interpelle pour lui demander s’il considère son comportement convenable et lui donner mon avis sur le sujet. J’aimerais voir sa réaction si un Aborigène commençait à endommager l’église de son village pour en rapporter un souvenir. Ce comportement totalement irrespectueux des coutumes et croyances des autres est condescendant et affligeant, de plus venant d’un monsieur âgé qui se donne des airs respectables et savants. Au moins fuit-il piteusement, sans demander son reste…
Quoiqu’il en soit, la promenade de dix kilomètres autour du rocher nous émerveille, révélant de nombreuses anfractuosités et caves que l’on ne soupçonne pas de loin. La visite du centre culturel complète la compréhension de ce site grâce à la description des légendes aborigènes assez sanglantes qui le lient à la création du monde. De nombreux guides sont aujourd’hui formés parmi les jeunes Aborigènes qui apprennent de leurs anciens les légendes qui font vivre ce lieu unique, mais étudient également l’aspect scientifique de la formation de ce gigantesque bloc de roche isolé dans le désert.
A cinquante kilomètres d’Uluru se trouvent les montagnes Katja Tutta, aux contours harmonieux et bombés. La randonnée qui s’immisce au cœur de ces mamelons colossaux dévoile une oasis parsemée d’arbres et de fleurs sauvages, dans laquelle logent quelques perroquets et des cohues de petits oiseaux. Ce lieu reclus est enchanteur à potron-minet, dans la mélodie de la faune locale et avant l’arrivée d’autres touristes.
Alors que notre séjour en Océanie approche sa fin, j’ausculte sur le retour tous les bancs de sable chaud à la recherche de l’animal le plus admirable de la région : le moloch horridus. Malgré tous mes efforts, l’infâme diable cornu – de son deuxième petit nom – échappe à mon regard perçant. C’est une énorme déception mais il pourrait justifier à lui tout seul un second voyage sur l’île-continent !
Ce séjour en Australie a été riche et intense, nous donnant un aperçu de plusieurs régions très hétéroclites en seulement trois semaines. Les paysages et les animaux de toutes sortes nous ont subjugués mais malheureusement les découvertes culturelles et historiques se sont révélées réduites en dehors de nos lectures. Nous avons en particulier manqué quelques musées qui semblaient passionnants, mais leur fermeture tôt dans l’après-midi nous a à plusieurs reprises coupé l’herbe sous le pied.
Quelques heures avant notre envol vers l’Asie nous apprenons la disparition de notre cher ami Mouton qui nous fera écourter notre séjour chinois et rentrer en France pour quelques jours.
Album Red Center Album Best of Australie
Toujours intéressant de lire Laure et de revivre grâce à elle
le cauchemar des pauvres aborigènes!
Que dire de ce merveilleux désert rouge que Fred nous
présente avec tant de talent.
Nous avons à la maison sur une gum leaf un souvenir d Uluru qui prend soudain une autre valeur
Merci de nous faire rêver et voyager une fois encore
J&G Levardon
Merci, j’ai revisité mes souvenirs de notre road trip en Australie grâce à vous.
Nous avions, tout comme vous, été profondément choqués par la misère des aborigènes, dont le monde entier ne parle jamais (ou si peu). Il faut le voir pour le croire.