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Santiago
Située presque au milieu des 4 300 km de longueur du pays, la capitale chilienne nous a paru agréable et accueillante pendant le court temps que nous lui avons consacré. Après que Fred s’est bien alourdi l’estomac d’un pastel de choclo (purée de maïs mélangée à de la viande et des aromates), nous visitons l’une des trois demeures de Pablo Neruda, deuxième poète chilien (et troisième écrivain sud-américain) à obtenir le prix Nobel de littérature en 1971. Auparavant, il fut consul de son pays durant de nombreuses années (il l’est d’ailleurs à Paris au moment de son prix) – comme Gabriela Mistral en son temps.
La construction et l’aménagement de sa maison démontrent l’attachement de Neruda à la mer : les pièces sont conçues de façon à se croire dans un bateau, et de nombreux meubles ou objets sont récupérés d’anciens navires. Il a fait changer les plans de l’architecte pour pouvoir admirer les Andes, mais malheureusement de multiples immeubles ont poussé depuis, faisant disparaitre la vue !
En sus de cette visite très intéressante pour découvrir l’artiste, l’histoire de la vie du poète et de cette maison nous font prendre conscience des années Pinochet pour la première fois depuis que nous sommes au Chili.
Le cas Pinochet
Proche du président de gauche Salvador Allende élu en 1970, Pablo Neruda est très affecté par le coup d’état du 11 septembre 1973. Alors qu’il est déjà gravement atteint du cancer, il doit être transféré d’urgence à l’hôpital et y meurt deux semaines après le putsch (un dossier judiciaire a cependant été ouvert récemment car des proches suspectent qu’il a pu être assassiné pour l’empêcher de partir à l’étranger témoigner des crimes de Pinochet). Sa maison santiagoise est entièrement saccagée par les partisans du dictateur, qui vont même jusqu’à casser les canalisations pour être sûrs de tout détruire. Neruda étant extrêmement populaire au Chili (même si son ami Allende disait ne pas aimer ses poèmes), son enterrement provoque la première résistance du peuple au couvre-feu imposé par le régime militaire, et alerte le monde entier de ce qui est en train de se produire. Sa femme et muse Matilda Urraritz fait preuve d’un énorme courage pour défier le pouvoir et ses sbires zélés, et décider de réparer la maison quelques années plus tard. Par sa mort, Neruda aura au moins échappé à une torture abominable, perpétrée sans vergogne sur les proches d’Allende comme le chanteur Victor Jara, dont le supplice représenté sur un tableau de Guayasamin m’avait beaucoup touchée à Quito.
Malgré diverses tentatives de procès ayant eu lieu entre 1998 et 2006, Pinochet n’est finalement jamais inculpé pour les exactions commises sous sa dictature, notamment par sa garde personnelle. Ses partisans n’hésiteront pas à le défendre jusqu’à la fin, justifiant que grâce à lui le Chili a « échappé au communisme ». Le même argument fallacieux fut utilisé par les Etats-Unis pour légitimer leurs interventions destinées à affaiblir Allende, comme le prouve la triste phrase de Henry Kissinger, alors secrétaire d’Etat de l’administration Nixon : « Je ne vois pas pourquoi nous nous croisons les bras sans agir en regardant un pays devenir communiste à cause de l’irresponsabilité de son peuple ». Il est aberrant de voir ici la vision de la démocratie d’un pays pourtant toujours bien prompt à faire la morale ! Et le spectre du communisme a bon dos dès qu’un gouvernement sud-américain tente d’instaurer quelques avancées sociales afin de rendre leur dignité aux travailleurs alors exploités sans vergogne et sans la moindre humanité par les multinationales (pendant longtemps la plupart ne paient même pas de salaires mais donnent des bons d’achats uniquement valables dans leurs propres magasins, et n’hésitent pas à réprimer dans le sang toute revendication) !
Avant l’investiture d’Allende, les Etats-Unis soutiennent la droite chilienne pour créer des mouvements de panique et faire revenir le Congrès sur sa décision de désigner comme président le candidat ayant reçu démocratiquement le plus grand nombre de suffrages. Ce stratagème ne fonctionne pas ; le candidat de la coalition de gauche est investi et commence à instaurer une meilleure répartition des richesses, principalement détenues par une minorité de grands propriétaires terriens et des conglomérats étrangers, majoritairement états-uniens (au temps du salpêtre au début du XXè siècle, c’étaient les Britanniques qui avaient la mainmise sur les richesses du pays). Inévitablement, cela ne plait guère à ces voisins septentrionaux, qui coupent brutalement tous les crédits, sauf ceux de l’armée qui au contraire décollent. Ils financent également un journal de droite, El Mercurio, pour calomnier le président et sa politique, puis en 1972 une grève des transporteurs qui paralyse tout le pays et affaiblit le gouvernement qui se trouve obligé de nommer un militaire au ministère de l’Intérieur. Malgré ces obstacles et les fortes difficultés économiques du pays – pour certaines liées à sa politique (notamment une terrible inflation), la popularité d’Allende continue de croitre à mi-mandat – ce qui n’était encore jamais arrivé à un président chilien. En juin 1973 a lieu une première tentative de coup d’Etat – répétition générale de l’armée mais insidieusement présentée comme une action isolée – à l’issue de laquelle le ministre de l’Intérieur démissionne et est remplacé par Pinochet, qui jure loyauté au gouvernement constitutionnel…
Le 11 septembre 1973, l’armée bombarde le palais présidentiel de la Moneda, demandant à Allende de se rendre (un enregistrement sonore prouve que Pinochet compte l’assassiner après sa reddition). Il préfère se suicider dans ses bureaux. Pinochet met rapidement ses compères de la junte militaire de côté, et symbolise dorénavant à lui seul la nouvelle « présidence ». Par toutes leurs actions de déstabilisation, les Etats-Unis cherchaient principalement à se débarrasser d’Allende, mais ils ne souhaitaient pas particulièrement une junte militaire à la tête du pays ; ils n’avaient d’ailleurs pas anticipé la prise de pouvoir de Pinochet et pensaient rétablir le précédent président de droite qui aurait perpétué leur domination économique. Cependant le rapport Church – résultat de l’investigation du sénateur états-unien du même nom en 1975 – et les documents déclassifiés ultérieurement prouvent qu’ils ont malgré cela soutenu le nouveau régime, même pendant la terrible répression qui a suivi le coup d’Etat. Environ 300 000 sympathisants de gauche seront arrêtés, 38 000 torturés et 3 000 assassinés, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières chiliennes. La nouvelle politique ultra-libérale – inspirée par les « Chicago boys » formés par les Etats-Unis – livre des pans entiers de l’économie chilienne à quelques familles richissimes et aux investisseurs étrangers alors que les moindres droits des travailleurs sont anéantis. Le chômage passe de 3,7% à 18,7% en deux ans, et les avancées sociales du pays (santé, éducation et droit du travail) disparaissent. La terreur est instaurée et les exactions continuent pendant des années, toutes les contestations étant sévèrement réprimées. L’indécence des tortionnaires est telle qu’ils osent même raconter à la femme et les enfants d’un homme disparu que celui-ci a traversé la frontière avec sa maîtresse alors qu’il a été odieusement torturé puis exécuté. La description des sévices infligés par ce régime atroce est tout simplement insoutenable.
En 1988 a lieu un referendum – dont Pinochet est certain de l’issue favorable – visant à proroger de huit ans sa position à la tête du pays. Il en sort finalement perdant (mais avec quand même 44% de soutien), et se trouve obligé d’organiser des élections même s’il garde le contrôle de l’armée (qu’il conservera jusqu’à sa retraite en 1998). Il est nommé sénateur à vie et désigne encore un tiers du Sénat qui empêche toute réforme ; les magistrats à la solde du dictateur conservent leur poste et amnistient tous les militaires poursuivis.
Il faudra attendre 1998 pour que les choses évoluent : l’Espagne émet un mandat d’arrêt contre Pinochet – hospitalisé à Londres (et prenant le thé avec Margaret Thatcher), pour ses crimes contre des citoyens espagnols. D’autres pays suivent mais Pinochet est finalement rapatrié au Chili pour raisons de santé (il n’hésite cependant pas à se lever de son fauteuil roulant à son arrivée au Chili pour prouver au monde entier qu’il a même berné les lords anglais). Certaines voix s’insurgent contre le juge espagnol qui, selon elles, fait ressurgir de vieux démons que les Chiliens essaient d’oublier, et risque de fragiliser la jeune « démocratie ». Celle-ci n’a pourtant aucunement remis en question le modèle économique inégalitaire, et a pactisé avec l’ancien dictateur pour lui assurer « l’amnésie collective » sur ses actions abjectes. Alors comment imaginer que les proches des près de 4 000 disparus, les personnes souffrant chaque jour des sévices atroces qu’ils ont subi des années plus tôt, ou les laissés pour compte de son économie ultra-libérale au service des plus riches puissent oublier ce qui s’est passé sous la dictature Pinochet ? Et continuer de vivre sans rancœur alors que le grand criminel est non seulement impuni, mais fanfaronne même avec son siège de sénateur à vie ? Non seulement oublier n’est pas une option acceptable, mais savoir ce qui s’est réellement passé et se souvenir sont nécessaires pour avancer et éviter que l’Histoire ne répète ses atrocités.
Pinochet échappe au procès pendant plusieurs années, mais finalement en 2004 les juges de la Cour Suprême chilienne lèvent son immunité et le font comparaitre devant la justice pour ses crimes perpétrés sur des milliers de victimes, mais également pour corruption, enrichissement illicite et fraude fiscale… Il meurt cependant en 2006 sans avoir jamais été condamné. La majorité des tortionnaires de l’armée s’en sortent également impunis, ainsi que le Secrétariat d’Etat de l’administration Nixon qui devrait à mon avis également comparaître pour violation de la souveraineté d’un pays et crimes contre l’humanité en participant à la mise en place et soutenant un tel tyran pour ses intérêts économiques.
Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur le sujet, La folie de Pinochet est un recueil d’articles faciles à lire, écrits par l’écrivain chilien Luis Sepúlveda entre l’arrestation de Pinochet – en octobre 1998 – et 2001. Vous pouvez également lire un bref article du Monde Diplomatique sur l’histoire des relations entre Amérique du Nord et Amérique du Sud et les documents de la CIA sur son action au Chili.
Suite de Santiago après la digression…
Après la visite de la maison-bateau de Neruda, nous nous rendons au sommet du cerro San Cristobal par le funiculaire. Cette grosse colline dominant la ville est un lieu de promenade privilégié des Santiagois et offre une vue spectaculaire sur la métropole. Nous y découvrons un téléphérique dont certains œufs ont mystérieusement disparu, on espère sans leurs passagers ! Le jardin botanique a été privatisé pour un « pique-nique électronique » auquel j’aurais bien assisté si on avait su son existence plus tôt, mais on profite déjà un peu de l’ambiance festive depuis le parc voisin. Le centre-ville est agréable, avec quelques beaux bâtiments, dont la bibliothèque nationale que nous visitons dans tous ses recoins accessibles au public.
Le cerro Santa Lucia, plus petite colline que le San Cristobal, offre au centre-ville un peu de verdure et des monuments plutôt kitsch, puis nous passons évidemment devant le Palais de la Moneda, reconstruit après le putsch.
Sur le départ pour Valparaiso, nous apercevons la gare de Santiago dont la structure métallique a été fabriquée au Creusot, pour la plus grande satisfaction du chauvinisme de Fred !
Valparaiso
Cette ville côtière dont le nom signifie « Vallée Paradis » nous a enchantés. Anciennement le port le plus important d’Amérique du Sud – escale obligée des navires franchissant le détroit de Magellan, il est tombé en décrépitude suite à l’ouverture du canal de Panama. La ville essaie de lui rendre son ancienne aura et abrite toujours l’Armada chilienne, dont l’emblématique Esmeralda – magnifique quatre-mâts où sont formés les officiers de marine.
Le centre historique, désormais très touristique et inscrit au Patrimoine de l’Humanité de l’Unesco, se révèle captivant. Les graffitis de styles très variés qui en couvrent les murs ainsi que les mosaïques décorant les marches rendent les rues chaleureuses et attachantes, et les « passages » offrent une vue remarquable sur la baie et les quarante-quatre collines qui forment l’agglomération. Les graffitis ont commencé quelques années avant le Coup d’Etat dans le quartier Bellavista (on les reconnait à leur style plus géométrique), puis ont été mis en veille pendant la dictature. Avec le retour de la démocratie, ils reprennent de plus belle et sont aujourd’hui encouragés par la municipalité qui organise régulièrement des compétitions. J’ai d’ailleurs découvert par une mosaïque que Gabriela Mistral était le sosie de Virgule de Guillemet, la grande amie d’Achille Talon…
Deux zones de la ville peuvent être différenciées : El Plan, qui longe la baie de Valparaiso et forme une surface plane où presque tous les commerces sont regroupés, et les Cerros – collines encerclant la baie, où vivent 94% des Valparaisiens. Pour joindre les quartiers séparés par des pentes abruptes, quatorze funiculaires et un ascenseur, éparpillés dans toute la ville, ont été construits au fil du temps. Cependant, plusieurs d’entre eux sont hors service, parfois transformés en œuvres d’art.
Nous passons une journée à Isla Negra (rien à voir avec Tintin), résidence préférée de Neruda située à 1h30 de route au sud de Valparaiso. A l’époque où il l’a achetée, cette maison n’était qu’une ruine isolée dominant l’océan Pacifique ; de nombreuses villas désormais installées à proximité altèrent malheureusement la magie du lieu. La vue sur la mer et les rochers est cependant toujours magnifique, et Neruda a fait de sa maison un véritable musée. Son salon en particulier, envahi de proues de navire, possède une atmosphère prodigieuse, exacerbée par toutes ces grandes silhouettes surplombant les vieux fauteuils (malheureusement les photos sont interdites… et il y a un gardien) ! Cette fois encore, maquettes de navires, astrolabes, mappemondes et mobilier donnent une ambiance marine à son refuge.
Depuis 1992, son corps et celui de sa femme sont inhumés ici face à la mer, comme il l’avait souhaité dans son poème Dispositions de l’œuvre Chant Général :
Mes compagnons, enterrez-moi à l’île Noire,
face à la mer que je connais, face aux âpres surfaces
de pierres et de vagues que mes yeux perdus
ne reverront jamais
Son oeuvre posthume J’avoue que j’ai vécu est publiée peu de temps après sa mort ; en voici l’extrait le plus célèbre :
Je veux vivre dans un pays où il n’y ait pas d’excommuniés.
Je veux vivre dans un monde où les êtres soient seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette.
Je veux qu’on puisse entrer dans toutes les églises, dans toutes les imprimeries.
Je veux qu’on n’attende plus jamais personne à la porte d’un hôtel de ville pour l’arrêter, pour l’expulser.
Je veux que tous entrent et sortent en souriant de la mairie.
Je ne veux plus que quiconque fuie en gondole, que quiconque soit poursuivi par des motos.
Je veux que l’immense majorité, la seule majorité : tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s’épanouir.
Album Santiago Album Valparaiso
Mendoza, l Aconcagua,valparaiso Vina del Mar c ‘etait juste il y a 27 ans .Pinochet etait encore au pouvoir.!!!!!!!
A propos d ‘Argentine si vous pouvez vous downloader relatos salvajes vous passerez un bon (un de plus) bon moment
Amities
Roberto
Je ne sais pas si ça a énormément changé pour les touristes. entre temps. On a regardé pour le film, mais on n’a pas encore trouvé ; peut-être au retour !
Un grand MERCI pources magnifiques vues et ce commentaire que vous venez de nous envoyer. Vous faites vraiment un superbe voyage et nous vous remercions de tout coeur de nous y faire participer !
MERCI MERCI MERCI. Continuez ainsi et ce, maintenant, BB avec vos parents qui vont très bientôt vous rejoindre. BISOUS
Papé & Mamé
Merci Papé et Mamé !
Aie Aie Aie je ne te connaissais pas si gauchiste. Un conseil de ton parrain cherche Anne et Gilles chantent Neruda. Larmes assurées.
Bisou
On a écouté, c’est effectivement très beau mais on n’a pas pu très longtemps car Fred craignait d’entamer une dépression… Pour moi pas de problème, je réécouterai.
Vrai : je chante le dernier dimanche de ce mois le final du Canto General !!! L’association Neruda/ Theodorakis ne laisse pas indifférent.
Bisous bisous
Encore quelque chose qu’on doit étudier alors, on ne connait pas !
Valparaiso et toutes ces couleurs et ces street arts….whouaouh ! on en prend plein les yeux.
Vous avez écouté aussi “c’est un fameux 3 mats fin comme un radeau? hissez haut Santiago”
belle dédicace à Tintin! J’espère au moins que Fred était en kilt pendant la visite