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Le Kirghizstan
1. D’une plaine à l’autre -
Le Kirghizstan
2. Au sud de l’Issyk-Koul -
Le Kirghizstan
3. Vers les hauts plateaux
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A quelques encablures de la rive sud de l’Issyk-Koul, un gigantesque kourgane – mot d’origine tatare désignant un tumulus – trône au milieu d’un prés. De nombreux tombeaux scythes ont été découverts en Asie centrale, certains dissimulés sous l’eau de cet immense lac, dévoilant l’art de ce peuple nomade mythique dont nous admirerons les ornements d’or et de bois dans les musées du Kazakhstan. Dans les alentours, les champs de fleurs fourragères colorent les plaines du rivage tandis que les fleurs sauvages habillent les collines.
A Tamga, charmant village russe accolé à celui kirghiz de Barskoon, nous espérons expérimenter un sanatorium qui accueillit Youri Gagarine en vacances après son vol dans l’espace en 1961. Malheureusement les dames de la réception nous brandissent un tarif spécial « touristes » prohibitif vu la décrépitude du lieu. Dépités et n’ayant pas non plus trouvé le moindre café où déjeuner, nous nous procurons à la supérette nos habituelles sardines à l’huiles et réplique de fromage hollandais pour le pique-nique. La vendeuse entame la conversation puis apprenant notre déconvenue, nous indique une chambre d’hôtes à l’angle de la rue : nous débarquons ainsi chez Tania. En deux jours de demi-pension, nous engraissons chacun d’au moins deux kilogrammes. Kirghize d’origine russe, Tania est aux petits soins et mitonne en quantités gargantuesques d’excellents plats que nous dévorons avec gloutonnerie. Nous sommes couvés et aurions volontiers passé une semaine chez elle – à part pour la ligne, bien entendu. En contrebas du village, Adrien – intrépide – se baigne deux fois dans l’Issyk-Koul dont l’eau avoisine les quinze degrés. Fred et moi nous contentons d’y tremper hardiment un orteil.
Les collines au sud du village abritent un cimetière typique, fantasmagorique dans la lumière rasante du soir. La partie orthodoxe composée de tombes de marbre se révèle froide et impersonnelle tandis que le côté musulman est enchanteur et poétique comme à l’habitude. Les Kirghizes nomades n’avaient pas de cimetière avant la sédentarisation forcée par les Russes – le défunt était enterré où il mourrait –, mais ils ont adopté par la suite cette habitude en y intégrant des éléments propres à leur culture. De nombreuses tombes sont conçues comme de petits mausolées de terre et de brique, parfois ornés de céramique, et agrémentés d’une porte magistrale. La gravure d’une photographie du défunt, traditionnelle chez les Russes, y est souvent exposée. Au sommet de la porte ou à ses côtés peuvent trôner le croissant musulman, l’étoile soviétique ou des symboles chamaniques. Ces derniers peuvent être des cornes de mouflon de Marco Polo, d’ibex de Sibérie et de maral (wapiti d’Asie) ou bien une queue de cheval accrochée au sommet d’une longue perche. Parfois les trois types de croyances peuvent s’y côtoyer, créant un mélange de genres assez fabuleux ! Certaines tombes sont également édifiées en forme de yourtes, représentant la continuité de la vie dans l’au-delà. Des cimetières kirghizes bordent fréquemment les routes et nombre d’entre eux se révèlent bucoliques grâce aux arbres et aux arbustes en fleurs qui poussent parmi les tombes.
Le village voisin de Barskoon héberge le site de production artisanale d’un célèbre fabricant de yourtes. Nous passons deux heures à visiter l’atelier et à confectionner un tapis de feutre. Après avoir choisi nos motifs et nos couleurs, nous voilà occupés à découper, positionner, recouvrir puis ébouillanter la laine pour la métamorphoser en feutre. L’ambiance est folâtre : Mekenbek et ses employés sont enchantés de partager leurs connaissances mais aussi leurs blagues ! Nous voilà pourvus d’un magnifique souvenir de notre séjour.
Plus haut dans la vallée qui mène à la mine d’or de Kumtor – détenue principalement par une entreprise canadienne, à l’origine de plusieurs désastres écologiques et dont les aides sont rongées par la corruption – un immense monument à la gloire de Gagarine nous observe depuis le bord de la route, face aux imposantes cascades de Barskoon. Un autre plus petit lui fait face, rappelant que cet immense héros soviétique a séjourné dans la région.
Dans cette chaîne des Tian Shan eurent lieu il y a quelques décennies des évènements mystérieux – mais évidemment non démontrés – qui intriguent toujours les amateurs d’OVNIs. Le 28 août 1991, un immense objet volant fut repéré par les radars soviétiques voyageant à neuf cent soixante kilomètres par heure au-dessus de la mer Caspienne. Suite à plusieurs demandes d’identification restées sans réponse, l’armée envoie deux avions de chasse en reconnaissance. Les pilotes découvrent alors une sorte de dirigeable gris métallisé gigantesque, long de six cents mètres et large de cent dix mètres. Les pilotes reçoivent l’ordre d’ouvrir le feu en avertissement pour inciter l’OVNI – toujours muet – à atterrir. Mais alors qu’ils s’approchent de leur cible, toutes les commandes de leurs MIG cessent de fonctionner : les aviateurs sont forcés d’abandonner la poursuite et le dirigeable s’éloigne. Les radars suivent l’évolution du vaisseau qui se déplace désormais en zigzags à la vitesse vertigineuse de six mille huit cents kilomètres par heure jusqu’au lac Issyk-Koul où il disparaît. Un mois plus tard proviennent du sud-est du Kirghizstan des rumeurs concernant un immense objet volant qui se serait écrasé dans les gorges de Shaitan Mazar – « la tombe du Diable » – en haute montagne. Une expédition est alors organisée par le groupe d’ovniologues SAKKUFON afin de prospecter la région. Après plusieurs semaines de recherches infructueuses dans des conditions très difficiles, elle est abandonnée. Peu après la Force aérienne russe affirme avoir découvert l’emplacement du crash ; mais l’hélicoptère qui repérait les lieux s’est écrasé, tuant tous ses passagers. L’hiver étant trop ardu pour poursuivre les recherches, SAKKUFON entraîne une deuxième équipe afin d’explorer la région à nouveau en juin 1992. Celle-ci parvient alors à localiser le site mais subit de nombreux déboires à son approche : à plusieurs centaines de mètres de l’objet, tout l’équipement électronique cesse de fonctionner, les montres s’arrêtent et les membres de l’expédition endurent une forte fatigue et des crises d’anxiété. Tous les appareils photo et les caméras sont inutilisables. A moins de cinq cents mètres, des radiations se font ressentir et un « champ de force » – terme qui semble ici correspondre à la définition de science-fiction – les empêche de continuer. Ils découvrent l’épave de l’hélicoptère à proximité, vraisemblablement abattu par ce champ de force ; aucun cadavre n’est cependant visible à l’intérieur ou dans les parages de l’appareil. Face à l’impossibilité de s’approcher plus près de la carcasse du gros dirigeable scindé en deux, l’équipe rebrousse finalement chemin, ne rapportant comme preuves que ses notes et croquis. Faute de financement, l’expédition suivante n’aura lieu qu’en 1998. A l’arrivée de celle-ci, il ne reste plus aucune trace du dirigeable et de l’hélicoptère. Certains suspectent que l’armée russe ait nettoyé le lieu entre temps, mais le mystère reste entier…
Reprenant la route vers l’ouest, nous bifurquons dans un petit chemin cahoteux d’où apparaissent quelques bâtisses isolées, enveloppées d’un brouillard rendant notre quête mystique. Le jeu de la lumière à travers les nuages rend les teintes plus intenses et brillantes. Des tombes solitaires et des maisons éparpillées peuplent cette vallée paisible où pas un mouton ne se manifeste. Corrompue par un morceau de pain dur, une ânesse pose le temps d’une photo tandis que son petit m’observe de loin avec méfiance. L’extrémité de la boucle, encombrée d’ornières et de roches, nous fait craindre à chaque virage de devoir faire demi-tour et la menace d’un éventuel éboulement dans cette gorge étroite ne nous rassure guère. Heureusement Lénine veille sur nous et notre véhicule progresse sans broncher jusqu’à la grande route.
Un vaste parc d’attraction abandonné, composé de yourtes en béton, de fresques immenses et de statues apparaît alors en bordure du lac. Nous apprendrons après enquête que ce devait être un lieu à la gloire des légendes kirghizes, dont la plus importante est l’épopée de Manas. La statue monumentale qui fait face au parc représente Sayakbay Karalaev, conteur moderne le plus connu, surnommé le « Homère du XXè siècle » par Tchinguiz Aïtmatov. L’épopée de Manas est une œuvre collective orale de langue kirghize, contenant plus de cinq cent mille vers dans certaines versions (bien plus que dans l’Iliade et l’Odyssée cumulées). Après une initiation, les conteurs appelés manastchi s’instruisent pendant des années auprès de leur maître ; ils connaissent alors toutes les trames et apprennent par cœur autant de vers que possible. La première version écrite date de 1856 et l’épopée raconte la lutte – il y a environ mille ans – de Manas et de ses quarante compagnons (puis de son fils et son petit-fils) contre les autres peuples d’Asie centrale pour regagner la terre de leurs ancêtres. Bien que certains évènements de l’épopée semblent inspirés de faits survenus au cours des XVIIè et XVIIIè siècles, ce mythe demeure un fondement de l’identité kirghize.
A quelques kilomètres de ce site qui prendrait volontiers des allures de château hanté par mauvais temps, une petite vallée reculée nous surprend. Loin des alpages habituels, ses collines d’ocres nous rappellent les montagnes arc-en-ciel de Chine. Les excroissances tordues succèdent aux vagues de terre sur quelques centaines de mètres, parées d’un rouge brique uni ou enluminées de rayures bigarrées. Malheureusement le site n’est pas protégé comme en Chine et les visiteurs grimpent n’importe où, dégradant inéluctablement le lieu.
Bokonbayevo est renommée pour les démonstrations de chasse à l’aigle, tradition des peuples nomades kirghiz et kazakh. Nous prenons rendez-vous avec Ruslan, accompagné de son père qui était lui-même chasseur. Ruslan dresse deux aigles royaux femelles de quatre et cinq ans pesant chacune environ cinq kilogrammes. Les femelles, plus corpulentes et plus agressives que les mâles, sont mieux adaptées à la chasse au renard, voire au loup. Pour dérober une aiglonne, Ruslan doit accomplir une approche périlleuse jusqu’au nid dissimulé dans la falaise, sans se faire repérer par les adultes. Considéré dès lors comme un parent, le jeune homme l’éduque et surtout lui apprend à chasser. L’aigle vit ainsi avec son maître jusqu’à ses dix ans environ puis est relâché dans la nature pour se reproduire – il peut vivre au-delà de vingt ans. Entraîner l’aigle à chasser quotidiennement est donc nécessaire pour lui permettre de se réadapter à la vie sauvage. Cependant durant son apprentissage, l’aigle n’est pas autorisé à manger ce qu’il chasse : il immobilise sa proie en l’asphyxiant puis attend que son maître lui offre de la chair fraîche en récompense.
Lors de la démonstration, Ruslan gravit une petite colline son aigle au bras puis s’immobilise pendant que son père tire en contrebas une peau de renard accrochée à une ficelle. Une fois la proie repérée, l’aigle fend les airs en vrombissant tel un avion à réaction pour se ruer sur la peau, assassinée sans vergogne une seconde fois. Lors des secousses sur la ficelle, l’aigle reste solidement accroché, comprimant ses serres pour immobiliser la proie rétive. La deuxième démonstration se fait avec un lapin vivant, qui parvient à éviter la première attaque par un judicieux écart. Une fois à terre sur une surface horizontale, l’aigle reprend difficilement son envol : il privilégie normalement des terrains en pente pour faciliter son envolée. Il bondit ainsi du sol avec quelques battements d’aile jusqu’à sa proie tétanisée, qui finit quand même par subir le triste sort qui lui était échu. Cependant sans l’élan de l’atterrissage, la mise à mort du lapin s’éternise, forçant les maîtres à intervenir pour abréger les souffrances de la pauvre bête. Il est néanmoins intéressant de remarquer que lorsque l’immobilité prolongée du lapin laisse supposer qu’il est mort, l’aigle lui attaque le crâne avec son bec. La proie – malheureusement toujours vivante lors de notre démonstration – pousse alors des cris glaçants, interrompant l’action de l’aigle qui renforce alors la pression de ses serres pour la tuer avant de continuer.
Après un court passage au lac salé en bordure de l’Issyk-Koul – dans lequel quelques courageux se baignent et où Fred poursuit toujours sans grand succès les tadornes casarca –, nous reprenons la route vers la ville de Naryn.
Nous quittons ces terrains connus pour nous aventurer vers les hauts plateaux d’altitude culminant à trois mille mètres, où quelques péripéties mémorables nous attendent.
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Merci encore de nous faire vivre votre beau voyage au Kirghizstan.A quand l’implantation de yourtes à Vains ? Amitiés
Toujours autant de plaisir à vous lire et admirer les superbes photos.
Sans nouveaux articles récents…nous espérons que votre voyage ce poursuit agréablement…
Seriez-vous rentrés en France ?
Très heureux d’avoir croisé votre chemin sur les canaux du sud du Chili nous vous souhaitons le meilleur pour la suite de votre voyage.
Amicalement
Michèle et André