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Le Kirghizstan
1. D’une plaine à l’autre -
Le Kirghizstan
2. Au sud de l’Issyk-Koul -
Le Kirghizstan
3. Vers les hauts plateaux
Au sud-ouest de Bichkek Le Ferghana kirghize Du nord à l’est de l’Issyk-Koul
Un seul pays a toujours fait partie du programme de notre « tour du monde » : La Kirghizie (ou Kirghizstan). Les autres destinations sont le fruit de hasards ou de choix rationnels tandis que ce pays méconnu justifiait peut-être à lui seul l’envie de faire ce grand voyage.
Je découvre l’existence de la Kirghizie à dix-sept ans, en cours de russe où nous traduisons un extrait du roman Il fut un blanc navire de Tchinguiz Aïtmatov – écrivain kirghize de renommée internationale. La poésie de cette fable m’imprègne durablement, et je parviens des années plus tard à me procurer un exemplaire en français. Je lis alors plusieurs de ses œuvres qui me font découvrir une nature, un peuple et des légendes qui me fascinent. Mais je ressens un tel besoin de prendre le temps de vivre ces paysages et la vie des hommes là-bas que je ne peux me résigner à y partir une semaine ou deux pour des vacances comme partout ailleurs. Il me faut du temps.
J’avais été touchée par la phrase de Luis Sepúlveda : « On est d’où on se sent le mieux ». Je pensais depuis être de Russie (et de Normandie bien entendu), mais une des révélations de ce séjour est que je suis en réalité d’où on parle russe. Cette langue me procure un enchantement et une spontanéité qui me dépassent. Cela évoque pour moi une anecdote sur Léon Tolstoï : en ébauchant son roman Anna Karénine, il désirait dépeindre l’avilissement d’une femme adultère. Mais l’écrivain dépasse l’homme – avec son désir et sa morale – et transfigure Anna Karénine qui devient la sublime héroïne de son chef-œuvre. J’avais eu du mal en lisant cette note à concevoir pleinement comment une situation particulière (l’écriture dans son cas) peut extraire quelqu’un ainsi de son ordinaire. Mais de même que Tolstoï devait s’étonner chaque jour de l’évolution de son roman, chaque jour en Asie centrale j’ai été sidérée de me voir aller vers des inconnus avec l’envie et le besoin de leur parler. Sans comparer ma situation à celle d’un tel génie, j’ai découvert dans mon amour pour la langue russe un moyen inexplicable de dépasser ma réticence à aller vers autrui. Alors que je rechigne habituellement à m’adresser à tout individu qui ne m’est pas proche, entendre et parler la langue russe m’apportent un tel bonheur que tout devient simple, naturel et évident malgré le niveau affligeant de mon baragouin. La fluidité s’améliore heureusement au cours des semaines passées en ex-URSS, mais la grammaire laisse toujours à désirer !
Nous partons pour notre première expédition kirghize avec René – ex-militaire et ex-diplomate français dans la région dont nous avons lu quelques livres – et Djouma – ex-militaire kirghize de l’armée soviétique, as de la mécanique et chauffeur qui assure les échanges avec les Centrasiatiques qui ne maîtrisent pas la langue russe ; il est par ailleurs fils de Basmatchi. La parenté des langues kazakhes, kirghizes et ouzbèkes permet de communiquer en maîtrisant une seule de ces langues.
Alors que ce voyage nous mène jusqu’à la mer d’Aral au Kazakhstan puis à Istaravchan au Tadjikistan, je me contenterai de narrer ici nos épopées kirghizes.
Vert et montagneux, le Kirghizstan est surnommé la Suisse d’Asie centrale. Alors que la capitale – Bichkek – siège à une altitude de 800 mètres, le massif des Montagnes Célestes couvre quatre-vingt pour cent du pays, atteignant 7 439 mètres au point culminant sur la frontière avec la Chine. Au sud de Bichkek, les Monts Célestes s’élèvent de la plaine avec de majestueuses collines polies, sur lesquelles trônent quelques poétiques mausolées kirghizes paraissant de loin ceints de pentes gazonnées telles un vertugadin. L’absence de forêt leur donne un air de spacieux terrains de golf tandis que derrière elles les sommets enneigés luisent au soleil à plus de quatre mille mètres d’altitude.
En empruntant l’unique route qui relie Bichkek à Och – deuxième ville du pays –, nous traversons à 3150 mètres d’altitude le tunnel (qui n’inspire guère confiance) « Khusein Kolbaev », long de près de trois kilomètres. Le tunnel n’est pas éclairé, les semi-remorques transportant des denrées entre le Ferghana agricole et la capitale pullulent, et les conducteurs kirghizes n’étant pas spécialement prudents, ils n’hésitent pas à doubler.
A l’extrémité de la galerie, la vue embrasse l’immensité de la vallée de Soussamir, où affluent avec la transhumance estivale les premiers troupeaux. Les yourtes – grandes tentes de feutre traditionnelles des nomades d’Asie – commencent à orner les alpages rendus au soleil par la fonte des neiges. Au retour nous pourrons goûter ici au premier koumis – lait de jument fermenté – de l’année. Au col suivant, l’étendue est encore immaculée mais les abords de la route sont souillés de déchets jetés par les fenêtres. Les bouteilles de bière et de vodka dominent les amas.
Alors que nous quittons les plateaux d’altitude, le panorama du lac Toktogul est éblouissant. D’une « lisseté » extraordinaire – comme poli –, ce réservoir est édifié sur la rivière Naryn en amont de la frontière ouzbèke. Renommé Syr-Daria en Ouzbékistan, le fleuve traverse le nord du pays puis le Kazakhstan pour s’y déverser en mer d’Aral. Le relief et le ciel se reflètent dans le lac comme dans un miroir, donnant l’impression que les berges s’engouffrent dans les nuages. Le site est féerique et l’odeur enivrante de l’absinthe écrasée sous nos pas embaume l’air. Nous campons sur le bord du lac pour profiter jusqu’à la nuit tombée de ses couleurs enchanteresses. Au petit matin, un troupeau de biquettes dévale la colline pour s’abreuver dans le bassin devenu turquoise. L’eau et les sentiers des animaux ont strié le rivage, découpé en marches régulières.
Un peu plus loin, nous effectuons au retour un détour vers Sary-Chelek, parc naturel montagneux inscrit à l’UNESCO. La route qui y mène est superbe, bordée de pistachiers et de plantes rases, puis de champs dignes de la Normandie ou de collines de terre rouge sculptées par l’eau telles une multitude de stupas. Une formation calcaire esseulée nous paraît plutôt suggestive.
Malheureusement au petit matin le temps se montre très menaçant et nous préférons rebrousser chemin avant même d’avoir vu le lac cristallin. Les orages peuvent être violents dans la région et les ponts sont bloqués par précaution en cas de pluie abondantes.
Sur la route principale vers Och les eaux bleu turquoise de la Naryn confluent avec un tributaire boueux, dessinant d’incroyables arabesques. Nous rejoignons ensuite la plaine du Ferghana, plus monotone que les hauteurs mais adoucie par les montagnes d’abricots, de cerises, de fraises ou de framboises en vente pour un prix dérisoire sur les bas-côtés de la route. Nous nous gavons de ces fruits savoureux à toute heure de la journée. Parfois couplées aux vergers, les rizières irriguées par l’infinité de rivières kirghizes éclaircissent le paysage. Alors que la création des frontières a été laborieuse dans la région, nous devons effectuer un vaste détour pour rejoindre Och en contournant les excroissances ouzbèkes. A leur extrémité, Uzgen – l’une des plus anciennes villes du pays – abrite toujours un minaret et un triple mausolée du XIIè siècle. Situés sur un promontoire offrant un panorama saisissant sur la plaine (malheureusement un peu voilé lors de notre passage), ces bâtiments et leurs motifs sculptés que l’on retrouvera en Ouzbékistan sont presque uniques au Kirghizstan.
Och est une ville verte et aérée qui nous parait agréable lors de notre court séjour. Son grand marché – bazar – nous a fasciné, en particulier les stands de vente de pièces de mécanique, de berceaux traditionnels ou de ferronnerie. La découverte de l’ouverture des Centrasiatiques envers les autres y est prégnante, et je m’épanouis à discuter avec ces personnes qui sont enchantées de nous rencontrer. Je suis surprise de me rendre compte à quel point je me sens bien en leur compagnie, à apprendre sur leur vie ou sur les produits qu’ils vendent tandis qu’ils sont ravis de partager nos connaissances, mais aussi d’être pris en photo. Ils posent avec sérieux et apprécient toujours de voir l’image prise sur l’écran !
Une connaissance ouzbèke de René – la minorité ouzbèke est très présente dans la partie sud du pays – nous accueille chez lui pour le thé. Alors que nous sortons d’un déjeuner conséquent, il fait apporter mûres (de l’arbre du vers à soie), bonbons, gâteaux, confitures, miel, pain et beurre à table. Les confitures kirghizes – notamment celles à la cerise – sont à se pâmer, et nous grignotons quelques tartines par politesse malgré la satiété. Notre hôte nous explique que la confiture est pour le thé, puis après avoir observé Fred verser une cuillère hésitante dans sa tasse, il y vide la moitié de la coupelle. Absolument repus et en hyperglycémie, nous apercevons le fils du maître de la maison arriver avec d’énormes assiettes de mantis, raviolis fourrés d’oignons et de mouton ! Mettant notre vie en jeu mais ne souhaitant pas insulter la générosité de notre hôte, nous en avalons quelques-uns que nous considérons malgré la souffrance induite comme les meilleurs de tout notre voyage (nous aurons de nombreuses autres occasions d’en goûter).
De la montagne sacrée Sulaiman-Too, une vue panoramique englobe toute la ville d’Och. Les jeunes gens semblent apprécier ce lieu le soir après les cours, et alors que certains flâneurs nous prennent en photo, d’autres nous demandent de les immortaliser.
Après un court passage à la ville voisine d’Aravan où les monuments me rappellent avec joie la Russie et où une affiche publicitaire interpelle le passant sur les risques de l’islamisme (кайран элим, кайда баратабыз ?! : Hélas cher peuple, où vas-tu ?) – c’est d’ailleurs le seul endroit où quasiment toutes les femmes sont voilées et où deux commerçants refusent d’être photographiés –, nous nous dirigeons vers l’enclave ouzbèke de Chakhimardan. Nous possédons un visa pour l’Ouzbékistan que nous n’aurons pas l’occasion d’utiliser ; la notoriété de cette enclave pittoresque nous décide donc à y faire une courte escale. Les militaires kirghizes à l’entrée ne sont malheureusement pas du même avis et déclarent que son accès est interdit aux étrangers même pourvus d’un visa (seuls Kirghizes et Ouzbèkes sont autorisés à y pénétrer). La pancarte récente de Staline à l’entrée de la route aurait peut-être dû nous rendre méfiants… Après de vaines (et longues) tentatives de négociation, nous continuons finalement notre chemin vers la frontière tadjike. Dans les montagnes méridionales de Batken, quelques rapaces planent au-dessus des alpages fleuris. Nous crapahutons sur une éminence à la recherche du cliché parfait d’un oiseau de proie local et jouissons de cet endroit sans âme qui vive où les fleurs printanières tapissent les pâturages.
Après une courte incursion au Tadjikistan, nous parcourons l’extrême sud-ouest du Kirghizstan le long de la vallée septentrionale des monts Turkestan et Alaï. Lors d’une halte pour photographier un paysage, trois générations de Kirghizes en train de traiter leurs cultures viennent nous saluer. Remarquant Fred et son objectif, ils posent aussitôt. Nous aurons grâce à cela l’un de nos plus beaux portraits d’Asie centrale !
Peu avant Batken, nous nous hasardons à contempler le réservoir de Tortkul depuis sa digue. Des miliciens peu amènes nous signalent dare-dare que son accès est prohibé pour des raisons de sécurité. Pourtant deux cent mètres plus loin nous accédons sans entrave à ses berges en escaladant les talus ocres qui le bordent. Nous sommes secondés par une marée caprine en quête d’abreuvement, formant à proximité de l’eau une spirale insolite.
De retour à Bichkek nous quittons Djouma et René, et accueillons mon frère Adrien qui se joint à nous pour trois semaines supplémentaires en République kirghize.
Nous louons un 4×4 et partons vers l’est, la fleur au fusil. Alors que les chambres d’hôtes de la vallée de Chong-Kemin indiquées dans le guide n’existent visiblement pas (ou plus), nous en repérons finalement une sur le bord de la route. L’endroit est paisible, la nature est encore magnifique et malgré nos discours défaitistes sur la gastronomie locale, le diner est excellent – et pas à base de mouton. Les propriétaires agrandissent leur gite et une yourte traditionnelle montée dans le jardin héberge les ouvriers. C’est la première intégralement en bois et en feutre que nous voyons de si près et nous sommes hilares d’y découvrir le lendemain matin une vache cachée pour éviter la pluie ! Malheureusement elle se fait déloger avant que nous n’ayons pu immortaliser ce beau spectacle. Une pile de crêpes orne la table du petit déjeuner, sapant notre volonté de visiter d’autres lieux.
Vainquant néanmoins nos démons, nous explorons la route de terre qui remonte la vallée et randonnons sur de courtes distances vers les cimes. Dominées au loin par des sommets enneigés, les montagnes dont les flancs se révèlent bien pentus alternent pâturages et forêts. Malheureusement le temps menaçant force notre retraite dans l’après-midi.
Le lac Issyk-Koul occupe une importante surface de la dépression glaciaire orientale de la Kirghizie. Dix fois plus grand que le lac Léman, il est légèrement salé et ne gèle jamais en hiver ; il fut d’ailleurs utilisé par les soviétiques pour tester leurs torpilles sous-marines. Sa rive nord – et notamment la station balnéaire de Tcholpon-Ata – est très fréquentée des Russes et des Kazakhs fortunés à la haute saison. Mais une semaine avant l’ouverture des festivités la ville se révèle plutôt endormie. L’ancien sanatorium soviétique est malheureusement fermé, mais l’animation relative (en comparaison des autres villages) nous incite tout-de-même à écluser un gorgeon. Au cœur de la station balnéaire, l’ancienne piste de l’aéroport a été reconvertie en route et mène au site des pétroglyphes. Comme tous les kékés du coin, nous faisons ronfler le moteur en l’empruntant. Après avoir arpenté le site historique en détail, un berger escorté de ses chevaux et de ses moutons nous entretient sur la vie, la nature et autres sujets utiles. Quand je dis nous, je sous-entends évidemment que nous tenons une discussion ouverte à tous et que j’en assure la traduction (approximative) quand je comprends. Les gens parlent généralement correctement le russe et possèdent un vocabulaire bien plus riche que le mien ; ils font cependant toujours l’effort de m’expliquer ce qui m’échappe.
Les montagnes de la rive méridionale, dont les glaciers étincellent au soleil tandis que la base est ouatée par la brume, offrent un panorama curieux vu d’ici. Les vallées de la rive nord sont creusées de rivières opalines qui dévalent des cimes. En les remontant, les troupeaux réapparaissent, paissant dans des prairies sans clôture. Dans ces alpages nous rencontrons pour la première fois le Tadorne casarca que Fred poursuivra inlassablement de son appareil photo pendant la suite du périple. Très craintif, ce gros oiseau roux surnommé localement « canard rouge » s’observe néanmoins fréquemment dans le pays.
Dans une vallée plus à l’est, un refuge destiné aux animaux protégés victimes d’accidents ou de braconnage est dissimulé dans les collines. Lors de notre passage, des aigles, des faucons, un lynx et trois panthères des neiges y sont pansés. Le lynx et les rapaces qui peuvent être rapidement soignés seront relâchés dans la nature. Les panthères des neiges sont elles contraintes de finir leurs jours dans le refuge. La rapidité de leurs déplacements étant nécessaire à leur survie, toute blessure les condamne rapidement et elles s’habituent de plus très vite au contact avec l’homme et à être nourries. L’une d’entre elles vit dans le refuge depuis 2002, date à laquelle elle a été retrouvée avec une patte arrachée par un piège. Les petits nés de manière inattendue en captivité sont également incapables de survivre en liberté sans les deux ans d’apprentissage de la chasse avec leur mère. Habituellement une femelle élève une portée de deux à trois chatons tous les deux ans, dont elle s’occupe toute seule. Bien que protégées, les panthères de neiges sont braconnées pour leur remarquable fourrure ou tuées par des bergers protégeant leurs troupeaux. Plusieurs organisations – dont celle qui gère le refuge – financent des gardes afin de lutter contre le braconnage. De même, des compensations sont allouées aux éleveurs qui perdent du bétail en échange de la protection des prédateurs. Bien que ponctuelles, ces mesures sont un premier pas indispensable à la sauvegarde de cet animal vulnérable.
Suite à cette visite, nous affrontons la plus laborieuse recherche d’hôtel de notre séjour. Après plusieurs revers, nous atterrissons à la nuit tombante dans un ensemble gardé de petites maisons de vacances chics d’un goût douteux (nouveau-riche russe probablement) où nous triplons le budget hébergement habituel. Le Kirghizstan est sans conteste le pays où nous avons exploré la plus grande variété de logements !
A l’extrémité nord-est du pays, nous longeons la frontière kazakhe jusqu’au village reculé de Karkara. En route nous visitons un monceau de pierres censé représenter le nombre de soldats de l’armée timouride morts lors de l’expédition en Chine. Tamerlan aurait fait apporter une pierre à chaque soldat avant le combat, puis en reprendre une au retour. Cette thèse sur l’origine de ce tas de cailloux au milieu de nulle part ne nous convainc guère mais la découverte de paysages encore somptueux justifie le détour. Alors que nous envisageons de prolonger la boucle le long de la frontière kazakhe, un poste militaire inopiné nous coupe dans notre élan. Il nous faut un propousk (laisser-passer, mot familier à toute personne ayant longuement séjourné en Russie) ; de tels héritages de l’URSS pullulent en Asie centrale. Nous rebroussons donc chemin sans demander notre reste et entamons le franchissement de la montagne vers Karakol par les petites routes.
Malgré quelques hésitations sur le chemin à emprunter, le trajet se passe sans encombre et nous atteignons la vallée en fin de journée. Notre première nuit à Karakol dans un lieu recommandé par le Lonely Planet gâche quelque peu notre soif d’exotisme et d’immersion malgré la gentillesse du propriétaire (il parle bien anglais, d’où l’afflux de clients). Nous ne recherchons pas particulièrement la compagnie des autres voyageurs et fuyons rapidement en randonnant jusqu’à un djaïloo (pâturages de haute montagne où sont implantés les campements de yourtes). Bien que le lieu soit réputé pour ses sources d’eau chaude, les nuages bas nous découragent de tenter les vingt minutes de marche supplémentaire. De plus un faucon nargue Fred en voletant autour de lui sans lui laisser le temps de prendre LA photo, déclenchant une allègre ronchonnerie.
Le lendemain nous nous promenons dans ces hauts alpages et observons les hommes du campement essayer vaillamment d’attraper un cheval prêt à tout pour leur échapper. Sa traversée de la rivière plus que frisquette m’impressionne particulièrement et démoralise ses adversaires. Nous rencontrons alors trois Kirghizes partis à l’assaut de la montagne pour rejoindre une vallée parallèle. Alors qu’à Karakol se répand une rumeur (je n’ai pu la confirmer) selon laquelle trois Coréens avaient trouvé la mort quelques jours plus tôt dans une avalanche en randonnant sans guide professionnel, nos trois locaux s’embarquent sur le même itinéraire en petites bottes de caoutchouc. Ils nous proposent gentiment de les accompagner mais plus courageux que téméraires, nous déclinons poliment. Notre rencontre est cependant immortalisée par Fred pour le plus grand plaisir général. Le sentier qui mène au djaïloo nous amuse beaucoup avec ses déneigeuses antiques et son camion soviétique qu’on pensait trop massif pour les ponts de bois de fortune. L’ensemble de notre voyage nous prouvera que les Kirghizes sont bien plus débrouillards et moins à cheval sur les règles de sécurité que nous (peut-être un peu inconscients ?).
Pour notre deuxième séjour karakolois je déniche sur Google Maps une chambre d’hôtes en ville. Au lieu indiqué se trouve une grande bâtisse en travaux ; bien que ce ne soit pas encore ouvert le propriétaire propose de nous héberger à un prix identique à la concurrence, dans un lieu qui se révèle raffiné comme jamais au Kirghizstan. Enchantés de l’affaire, nous dinons au restaurant russe voisin où nous noyons dans la vodka le désarroi provoqué par la scandaleuse rupture de stock de blinis.
Aucunement découragés par la déconvenue du sanatorium soviétique de Tcholpon-Ata, nous tentons à nouveau notre chance à Djety-Oguz. Après un léger interrogatoire sur nos motivations (nous ne venons pas en cure mais souhaitons tout de même utiliser la piscine d’eau thermale), nous voilà acceptés comme résidents d’une nuit. Le sanatorium nous ravit avec ses murs décrépis, son mobilier rudimentaire et désuet et son indéboulonnable statue de Lénine. Fred manque malheureusement la sortie piscine pour passer des entretiens téléphoniques. Adrien et moi nous retrouvons dans une pièce glauque aux rampes rouillées, aux fenêtres sans joints et aux plaques de Placoplatre (amiante ?) s’affaissant du plafond. Alors qu’Adrien se demande s’il va oser mettre un orteil dans le liquide rougeâtre au milieu de la pièce, je suis prise d’une intense sensation de bonheur. Je suis nostalgique de choses que je n’ai jamais connues, comme si cela faisait partie de moi ; c’est très étrange. Nous sommes finalement courageux et nous baignons dans ce liquide opaque et un peu visqueux. Une bonne douche nous semble cependant essentielle à la sortie ! Nous réservons aussi un massage pour rétablir nos muscles fourbus. Notre masseuse travaille ici depuis 1975 et a donc vu Boris Eltsine lors de son passage en 1991. Elle nous explique que les sportifs russes viennent toujours faire une cure en hiver, pour profiter de l’air pur et de l’altitude.
Autour du sanatorium des formations rocheuses rouges forment un spectacle inattendu, notamment les rochers des sept bœufs – signification de Djety-Oguz – nom issu d’une légende locale sur la femme adultère d’un chef de clan. La vallée qui s’enfonce sur quelques kilomètres supplémentaires ne nous offre pas le spectacle que son nom « vallée des fleurs » laissait présager. Nous arrivons probablement déjà trop tard en saison.
Le récit de nos aventures kirghizes s’avérant prolixe, il a été divisé en deux chapitres. A bientôt pour la suite de notre épopée !
Album Au sud-ouest de Bichkek Album Le Ferghana kirghize Album du nord à l’est de l’Issyk-Koul
Bravo pour ce blog
Tu as bien changé Fred, cheveux plus court…..ca te va pas mal xx
Laure, que tu as bien transmis ton enthousiasme pour la langue et l’environnement de ” vos hôtes ” en Kirghisie !
Merci pour ton vocabulaire précis même quand tu découvres l’origine d’une des profondes motivations de ce tour du monde. Je crois entendre le désir de S’EXTRAIRE DE PEURS ORDINAIRES…. Bravo pour cet accomplissement !
Coucou à Adrien s’il est encore avec vous.
Bises à vous trois.
si je n’ai plus commenté depuis les Alakalufs (le détroit de Magellan)
c’est que la qualité de vos reportages d’errances controlées (peut-être pas tant que ça)
me laisse coi , comprenez interdit… enfin médusé si vous préférez.
Merci
Bises
jean lautrey
J & G Levardon
07/11/2017
C’est une chance, un moment de bonheur, que de vivre avec vous
cette fabuleuse épopée centre asiatique .
Spasiba
Bises
Je suis toujours aussi fascinée de lire toutes vos expériences et découvertes au cours de ce périple à travers l’Asie.
Merci pour ces textes intéressants et ces superbes photos.
Amicalement
Michèle
Que je me sens ignare en lisant les récits si bien documentés et naturellement intéressants de Laure et je suis plein d’admiration pour les photos de Fred toutes plus belles les unes que les autres. Quel voyage extraordinaire vous nous permettez de faire en votre compagnie. Je ne vous dirai jamais assez combien est grande ma reconnaissance.
Avec mes plus amicales pensées
André