La perte d’un ami très cher vient de couper douloureusement notre voyage. L’importance dans notre vie de Julien Rebreyend, surnommé Mouton depuis l’Ensimag, rendait essentiel notre retour en France. Il mélangeait peu sa famille et ses différents groupes d’amis, et les nombreux hommages qui ont été lus pendant la cérémonie ont permis à chacun de découvrir de nouvelles facettes de cette personne extraordinaire.
Certains d’entre vous ne l’ont jamais rencontré, mais beaucoup l’ont connu ou croisé à Grenoble, Paris, Londres, Berlin ou Saint-Georges-de-Livoye.
A Mouton
La découverte cette semaine de ta mucoviscidose par la plupart de tes amis, même très proches, a été un choc pour beaucoup d’entre eux. Tu es parvenu à cacher ce handicap qui ne te laissait espérer que quinze ans de vie à la naissance à la grande majorité de ton entourage, même aux amis avec lesquels tu as vécu. Pendant des années, tu as réussi par ton mode de vie à retarder les traitements lourds, mais depuis quelque temps, ta santé se dégradait.
Je fais partie des très rares personnes à avoir su l’existence de ta maladie depuis longtemps, mais je n’avais pas eu le temps de connaître tes nouvelles peines. Tu as essayé de me le dire. Je n’ai pas eu le temps de comprendre. Il y a quelques semaines, tu m’as écrit « Je suis deux semaines chez moi à prendre des antibios ». Comme tu ne voulais jamais parler de ta maladie, je n’ai pas su comment répondre et t’ai demandé si tu avais attrapé quelque chose alors que je pensais évidemment à cela. Je ne recevrai jamais ta réponse. Tu avais passé deux semaines chez toi sous perfusion. Depuis des mois, une infirmière venait régulièrement t’administrer matin et soir ton lourd traitement, et tu continuais à mener une vie normale, travailler, sortir, aller au ski, randonner. Quel courage.
Pendant cette journée où tous les gens qui t’aiment se sont retrouvés pour te rendre hommage, on m’a beaucoup dit « J’adorais Mouton. Mais maintenant je l’admire. ». Oui, tu étais admirable mon parrain. Et tu as caché à quel point tu l’étais à tout le monde pendant si longtemps. Je n’ai pas compris que tu voulais enfin parler de cette maladie qui te rongeait par ton courriel, et je regrette de ne pas avoir été là pour t’aider à porter ton lourd fardeau. Tu étais conscient de ton affaiblissement et tu savais que petit à petit tu devrais abandonner les activités que tu aimais. Tu avais la force et la volonté de profiter au maximum en attendant.
En faisant une sortie de spéléologie par exemple.
Il semblerait qu’une mauvaise manipulation est la cause de ta chute. Une dizaine de mètres pendant lesquels tu n’as pas crié. Puis le choc. Tu es mort sur le coup.
Pour nous aider à accepter ta disparition insensée, nous nous disons que cela t’a peut-être évité une longue souffrance et l’attente d’une greffe qui n’aurait peut-être jamais été possible. Mais nous aurions tous tellement aimé partager plus avec toi, et t’aider pour affronter ces moments difficiles. Ta mort si brutale nous a tous pris par surprise. Il y a tant de choses que nous aurions voulu te dire.
Ta sœur et ton beau-frère m’ont dit que quand tu es venu récupérer le matériel de spéléologie la veille de ta sortie, ils t’ont trouvé très beau. Ton traitement t’avait fait du bien, tu étais bronzé et épanoui par tes activités. Je l’imagine très bien et garderai cette image de toi. Cela me fait du bien.
Comme ta famille, j’ai toujours espéré que tu trouverais la Moutonne que tu rendrais heureuse et qui te rendrait heureux. Malheureusement tu n’as jamais rencontré la bonne. Tu méritais pourtant tellement ce bonheur.
Retrouver ta famille et tes amis proches pour parler de toi pendant des heures a été salvateur. Nous avons beaucoup pleuré mais nous avons aussi réussi à rire en pensant à toi, à ce que tu aurais dit ou fait. Nous savons que c’est comme ça que tu aurais voulu que cela se passe. Qu’on trinque à ta santé selon tes coutumes, en groupe fraternel comme tu l’aimais. Et nous avons inventé le Moujiton. Dommage qu’on n’y ait pas pensé avant, tu aurais été si content.
Dans l’un des nombreux hommages, j’ai découvert ta passion pour le jardinage. J’aurais tellement voulu que tu me fasses découvrir ton jardin que tu aimais tant. Tes cendres reposent désormais là-bas, au milieu des montagnes grenobloises qui ne m’avaient étrangement jamais paru aussi belles que samedi. J’ai dû savoir regarder à travers tes yeux cet environnement auquel tu étais très attaché et dans lequel tu puisais ton bonheur.
Je crois que j’espèrerai toujours te croiser au détour d’une rue ; comme beaucoup d’entre nous je n’ai cessé de t’apercevoir samedi. Mais je vais devoir m’accoutumer au manque de ne plus partager tous ces moments inoubliables avec toi. Heureusement, comme un texte lu samedi le disait, je te verrai désormais dans les étoiles, les montagnes, les fleurs ou les nuages ; je te parlerai et je t’écrirai.
Repose en paix dans ton jardin chéri mon parrain tant aimé.
La veille de la cérémonie, j’avais écrit une lettre à mon parrain que les amis de l’ENSIMAG ont déjà pu lire.
Mon cher parrain,
La nouvelle de ta disparition me semble irréelle. A part quelques sporadiques éclairs de lucidité, l’impossibilité de ta mort prend le dessus à chaque instant, reléguant la réalité dans un mauvais rêve que j’essaie d’enfouir profondément. Tu étais trop présent et trop vivant pour disparaître ainsi si soudainement, sans crier gare. Ta fidélité en amitié m’empêche de concevoir que tu as pu nous abandonner ainsi. L’idée de ne jamais te revoir insinue un vide et un froid intolérables en moi. Tout se déchire, mon corps et mon esprit ne parviennent plus à communiquer et seul un mal-être intense et persistant me prouve que tout cela est bien réel. Je sens déjà qu’il me manque quelque chose d’essentiel.
Quand je pense à toi, j’entends d’abord ton rire espiègle. Puis « Vieille Fiotte ! » comme tu aimais m’appeler. Je te vois en train de préparer une blague, réjoui à l’avance de ta trouvaille.
Je me souviens de notre rencontre lors de mon intégration à l’ENSIMAG. Tu participais aux festivités avec joie, heureux d’appartenir à une vaste communauté. Après quelques jours tu m’as demandé d’être ta filleule. Puis notre amitié n’a cessé d’évoluer et de s’enrichir.
Je me souviens de ton aide précieuse, et de ton profond amusement parce que je ne comprenais pas les pointeurs de pointeurs. Tu m’as sauvée d’interminables nuits blanches pour achever mes projets.
Puis nous avons décidé de vivre en colocation. La vie était tellement facile avec toi, et à part la compagnie de tes rats et le riz à tous les repas, c’était une période de bonheur insouciant. L’éloignement n’a rien changé, nous nous retrouvions toujours régulièrement avec joie, comme deux enfants qui ne se sont pas vus depuis trop longtemps.
Je me souviens du jour où tu m’as annoncé ta mucoviscidose. Fidèle à toi-même, tu ne me l’as pas présentée avec tragisme. Nous étions en groupe au ski, et tu m’as appelée discrètement : « Vieille fiotte, ne prends pas ton forfait avec les autres, suis-moi… ». Puis tu m’as annoncé fièrement ta maladie et présenté la carte qui nous permettrait de skier gratuitement. Tu faisais un pied-de-nez à la maladie, transformant ton handicap en avantage et en force. Tu étais capable de retourner ainsi toute situation pour en voir le côté positif.
Tu m’avais demandé de n’en parler à personne, et je sais désormais que j’étais la seule personne de notre entourage commun à le savoir. J’ai eu le privilège de recevoir de nombreuses autres confidences de ta part qui m’ont donné des clefs pour te comprendre plus profondément.
Je considérais depuis longtemps que ton attirance pour les activités dangereuses était une forme de revanche sur la vie et de défi contre la mort. Malheureusement, elle a fini par te rattraper. Je ne peux y croire. Tu étais tellement vivant.
Tu étais une personne à part, et tu étais en même temps capable de fédérer les gens, créant autour de toi une vie communautaire qui t’allait si bien. Tu as réussi partout où tu as vécu à forger des amitiés nombreuses et très fortes, devenant un élément de cohésion primordial. Nous sommes aujourd’hui tous là pour te le prouver. Tu laisses derrière toi un vide impensable, qu’il nous faudra apprendre à combler en honorant ta mémoire. Je ne peux m’empêcher de penser à tout ce que tu pourrais dire à chaque instant – principalement des blagues dont tu ricanerais ; j’ai envie d’écouter Nightwish, de lire tes bandes dessinées, de regarder tes DVDs, de porter un de tes t-shirts à tête de loup… J’ai besoin de te faire vivre.
En cherchant des photos de toi, j’ai retrouvé l’album qui immortalise la disparition de ta crinière moutonneuse. Il s’intitule « parrain adoré que j’aime et ses supers cheveux ». Voilà ce que tu représentais pour moi.
Il y a quelques semaines tu m’avais souhaité mon anniversaire. J’avais rigolé parce que ne sachant pas sur quel fuseau horaire j’étais, tu avais une demi-heure d’avance. Je ne peux croire que c’est le dernier email que je recevrai de toi. Quelques jours avant ta disparition, nous parlions encore de toi avec Fred ; de tes goûts, de ce que tu faisais et des idées de week-end à faire ensemble à notre retour. Tu étais un pilier dans ma vie, quelqu’un sur qui j’étais sûre de pouvoir toujours compter, tu faisais partie de la famille.
Je me souviens des nombreuses fois où tu es venu chez mes parents, notamment de ta participation à la vente de crêpes de la kermesse avec tes cheveux bleus, et du jour où tu étais hilare d’avoir déclenché une crise de larmes de mon petit frère pour lui avoir piqué un chocolat. Tu aimais toujours rappeler les bons souvenirs, que nous revivions à l’infini.
Avant de partir pour notre tour du monde, tu es la dernière personne que nous sommes allés voir, faisant un détour à Lyon pour passer une soirée en famille comme nous disions. Ton fiot, ta fiotte et toi. Tu rigolais que tes filleuls se soient mis en couple – grâce à toi – ce que tu considérais comme de l’inceste.
Nous sommes venus te dire au revoir. Je n’aurais jamais pu imaginer que nous te disions adieu.
Je t’aime mon vieux Mouton, tu ne cesseras jamais d’exister auprès de moi.
Ta Fiotte.
chère Laure et Fred nous ne connaissions pas Mouton mùais nous sommes de tout cœur à vos côtés dans cette grande peine…nous vous embrassons colette et gérard
Chers Laure et Fred, je connaissais la nouvelle qui m’a beaucoup touchée lorsque Marité me l’a annoncé. Il y aura un avant la mort de Mouton et un après.
Et puis, j’ai lu ton joli texte , Laure qui fait aimer cette personne alors que je ne l ‘ai jamais rencontrée et qui fait aimer aussi votre amitié profonde, riche, sincère…. . Vous allez inventer un nouveau territoire à partager avec lui : personnel, riche aussi.
Continuez votre chemin…. les yeux baissés d’abord et vous vous étonnerez de les relever, de reprendre goût à la vie et à votre aventure magnifique…..
Je vous embrasse très fort et vous souhaite plein de belles choses qui , petit à petit vont adoucir votre peine ….
Patou
chers amis,
Je comprends maintenant votre retour du bout du monde, des antipodes. Votre ami, en aimant la montagne, s’était déjà rapproché de l’éternité. Il y est maintenant et nous y attend, avec impatience, sans doute…Nous saurons le faire attendre un petit peu !
A bientôt
rené
Très beau texte, super hommage encore une fois. Des sourires et des larmes. Bisous petite fiotte et petit fiot et merci d’Emmanuelle, la soeur de mouton.